Date de début de publication du BOI : 12/09/2012
Identifiant juridique : BOI-CTX-DG-20-30-20

CTX - Contentieux de l'assiette de l'impôt – Dispositions communes - Autorité de la chose jugée - Éléments constitutifs

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L'autorité de la chose jugée dans un premier litige peut être invoquée dans une instance postérieure s'il y a dans les deux demandes : identité d'objet, identité de cause, identité de personnes et de qualité (Code civil, art. 1351).

Ainsi, l'autorité de la chose jugée s'oppose à ce que le Conseil d'Etat statue sur une nouvelle requête alors que, par une décision antérieure, il s'est déjà prononcé sur une précédente requête du même contribuable, fondée sur la même cause et ayant le même objet (CE, arrêt du 12 janvier 1951, n° 5106, RO, p. 137).

Il suffit que l'une des trois conditions requises par la loi fasse défaut pour que l'autorité de la chose jugée ne puisse être invoquée.

I. Identité d'objet

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L'objet du litige est, aux termes de l'article 4 du code de procédure civile, « déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense. Toutefois, l'objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant ».

Cependant, les juges du fond sont liés par les conclusions prises devant eux et ne peuvent modifier les termes du litige dont ils sont saisis.

L'identité d'objet est l'une des conditions requises pour que la chose jugée soit opposable, aussi bien par la juridiction administrative que par la juridiction judiciaire.

Le juge administratif de l'impôt, en l'espèce le Conseil d'Etat, a, de la sorte, décidé qu'il n'y a pas autorité de la chose jugée, contrairement à ce qu'a décidé le tribunal administratif, lorsqu'un second litige porte sur des impositions établies au titre d'années différentes qui, en raison du principe de l'annualité de l'impôt, font que les deux litiges ont des objets distincts (CE, arrêt du 16 mars 1959, 1ère espèce, RO, p. 379).

De même, le juge judiciaire de l'impôt a décidé que, pour qu'il y ait autorité de la chose jugée, il fallait que la chose demandée fût la même (Cass. civ., 29 avril 1851).

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D'une manière générale, pour qu'il y ait identité d'objet, il est nécessaire que les deux litiges portent sur le même impôt établi au titre d'une même année ou d'une même période.

Cependant, lorsque deux impôts ont entre eux d'étroites corrélations (modalités d'assiette et bases identiques), la jurisprudence invoque à leur propos l'autorité de la chose jugée.

Ainsi, lorsque le Conseil d'Etat a rejeté une requête relative à l'impôt sur les bénéfices de l'exploitation agricole, l'autorité de la chose jugée qui s'attache à cette décision s'oppose à ce que les bénéfices soient remis en discussion à l'occasion d'un litige portant sur la cotisation correspondante à l'impôt général sur le revenu établi au titre de la même année (CE, arrêt du 7 janvier 1956, n° 35787, RO, p. 3, arrêt rendu sous le régime de l'ancien impôt général sur le revenu et des impôts cédulaires).

Également, lorsque le Conseil d'Etat a jugé que les redressements apportés au bénéfice déclaré par une société pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés étaient réguliers, l'autorité de la chose jugée s'oppose à ce que ladite société remette en discussion le bien-fondé desdits redressements à l'occasion d'un litige concernant la taxe proportionnelle sur le revenu des capitaux mobiliers, et son recours doit être rejeté dès lors qu'elle ne fait valoir aucun vice propre à l'établissement des droits et pénalités contestés (CE, arrêt du 7 janvier 1966, n° 65430, RO, p. 3).

II. Identité de cause

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L'autorité de la chose jugée est subordonnée à la condition que les demandes soient fondées sur la même cause.

A. Définition de la cause

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La cause peut être définie comme le fondement juridique du droit invoqué ou le principe générateur de ce droit.

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La « cause » en matière d'autorité de la chose jugée se différencie des moyens, lesquels constituent la démonstration de la cause.

Elle n'est pas cependant sans relation avec les moyens invoqués.

Ainsi, dans une espèce dans laquelle un contribuable se bornait à se référer aux moyens qu'il avait invoqués dans sa précédente requête, le Conseil d'Etat a opposé l'autorité de la chose jugée (CE, arrêt du 7 janvier 1956, n° 35787, RO, p. 3).

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Au sein du contentieux de l'assiette de l'impôt (mais non à l'occasion du contentieux de l'annulation au niveau de la cassation), le Conseil d'Etat distingue trois causes juridiques regroupant respectivement les moyens relatifs à la procédure d'établissement de l'impôt, au bien-fondé et aux pénalités.

En ce sens : CE, arrêts du 14 juin 1974, n°s 89865 et 89866 et CE, arrêt du 4 décembre 1974, n° 87166.

Cette notion de cause juridique revêtait une importance primordiale en ce qui concernait les conclusions nouvelles présentées devant le tribunal administratif, sous le régime antérieur à l'application de l'article 81-III de la loi n° 86-1317 du 30 décembre 1986, dont les dispositions ont été codifiées à l'article L 199 C du LPF.

En effet, les contribuables ne pouvaient présenter de moyens nouveaux après l'expiration du délai de recours que si ces moyens pouvaient être rattachés aux causes juridiques visées par la requête introductive d'instance ou étaient d'ordre public.

Désormais, il résulte des dispositions de l'article L 199 C du LPF que l'administration et le contribuable peuvent, dans la limite du dégrèvement ou de la restitution sollicités, faire valoir tout moyen nouveau jusqu'à la clôture de l'instruction devant le tribunal administratif, la cour administrative d'appel, le tribunal de grande instance et la cour d'appel.

Toutefois,La possibilité de présenter des moyens nouveaux est limitée par l'autorité de la chose jugée lorsque le point en litige a déjà fait l'objet d'une décision devenue définitive.

Ainsi, Le Conseil d'Etat considère que l'autorité de la chose jugée qui s'attache à un arrêt devenu définitif fait obstacle à la recevabilité d'une nouvelle demande introduite par le même contribuable, concernant les mêmes impositions et appuyée de moyens qui, bien que nouveaux, se rattachent aux mêmes causes juridiques (CE 6 octobre 1999 n° 178026).

Observations : Dans son pourvoi, le contribuable soutenait que les dispositions de l'article L 199 C du LPF devaient prévaloir sur la théorie des causes juridiques en droit fiscal, notamment dans ses implications avec le principe de l'autorité de la chose jugée. Selon lui, il convenait de raisonner non en fonction du champ global de chacune des causes juridiques (procédure, bien-fondé, pénalités), mais de la spécificité de chaque moyen.
La question de la divisibilité ou de l'indivisibilité des causes juridiques était donc posée.
Le Conseil d'Etat réaffirme sa jurisprudence traditionnelle (CE, arrêt du 3 juin 1991, n° 51697) appliquée depuis lors par les cours administratives d'appel (notamment CAA Paris, 21 décembre 1992, n° 91PA00412, CAA Nantes, 2 mai 1996, n° 94NT00169).
Les dispositions de l'article L 199 C du LPF n'ont pas modifié le principe selon lequel l'autorité de la chose jugée, qui s'attache à un jugement de tribunal administratif ou à un arrêt de cour administrative d'appel, devenu définitif, s'oppose à ce qu'un contribuable conteste les mêmes impositions par un moyen qui, tout en étant distinct de ceux antérieurement invoqués, est fondé sur la même cause juridique.

B. Application du principe

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Le principe en vertu duquel l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée que s'il y a identité de cause entre les deux demandes trouve à s'appliquer aussi bien dans le contentieux judiciaire que dans le contentieux administratif de l'impôt.

1. Dans le contentieux judiciaire

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En matière d'enregistrement, il a été jugé qu'une demande en restitution d'un droit, fondée sur ce que ce droit avait été perçu sur un marché verbal, est basée sur une cause différente de celle relative à une demande en réduction du droit perçu, fondée sur ce que, l'existence du marché étant reconnue, la perception aurait été exagérée ; par suite, le jugement qui a rejeté la première demande n'a pas l'autorité de la chose jugée sur la seconde.

En ce sens : Cass. civ., 29 avril 1851, 51-1-433.

2. Dans le contentieux administratif

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Le tribunal ayant, par un premier jugement, épuisé sa compétence sur la demande présentée par un contribuable, la circonstance que, celui-ci ayant réitéré sa réclamation au directeur, ce dernier a pris une nouvelle décision de rejet, ne permet pas au contribuable de remettre en cause devant le tribunal la solution déjà donnée au litige, l'objet et la cause de ces demandes étant identiques.

En ce sens : CE, arrêt du 27 novembre 1974, n° 82699-82700.

Ainsi la jurisprudence selon laquelle le contribuable peut renouveler une réclamation tant que le délai d'introduction n'en est pas expiré, et peut, consécutivement saisir le tribunal administratif de nouvelles demandes contre des décisions successivement prises par le directeur statuant sur ses réclamations, trouve une limite dans l'identité de cause entraînant la chose jugée opposable aux nouvelles demandes.

En effet, une décision du Conseil d'Etat du 12 juillet 1974 reconnaissait au contribuable le droit de présenter dans le délai de réclamation plusieurs demandes successives à l'administration et, par la suite, de déférer au tribunal administratif chacune des décisions qui, sur ses réclamations, ne lui auraient pas donné satisfaction (CE, arrêt du 12 juillet 1974, n° 87076).

Le principe de l'autorité de la chose jugée qui s'attache aux décisions juridictionnelles ne se trouvait pas remis en cause par cet arrêt. En effet, le tribunal administratif saisi à la suite de la première réclamation ne s'était pas prononcé au fond mais avait seulement rejeté la demande comme frappée de déchéance.

Cette jurisprudence a été confirmée : le fait que le tribunal ait rejeté une première requête comme tardive, ne prive pas le contribuable du droit d'introduire de nouveau le débat au fond grâce à une nouvelle requête contre une nouvelle décision du directeur (CE, arrêt du 25 juillet 1975, n° 86984).

III. Identité des parties

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Il ne peut y avoir autorité de la chose jugée que si les demandes ont été formées par les mêmes parties et en la même qualité.

Ainsi, un jugement n'a cette autorité qu'à l'égard des parties qui sont juridiquement les mêmes que celles entre lesquelles il a été rendu.

Pour que les parties soient juridiquement les mêmes, il faut, d'une part, qu'elles aient personnellement figuré dans la première instance, ou du moins qu'elles aient été régulièrement représentées par ceux qui y ont figuré et, d'autre part, qu'elles procèdent dans la nouvelle instance en la même qualité que dans la première.

Il y a autorité de la chose jugée lorsque la même question litigieuse oppose les mêmes parties prises en la même qualité et procède de la même cause que la précédente sans que soient invoqués des faits nouveaux ayant modifié la situation des parties (Cass. Soc., 16 avril 1986, n° 85-60411).

Dans les litiges fiscaux, deux parties sont en présence : d'une part, l'Administration et, d'autre part, le contribuable. Si donc le nouveau recours concernant le même objet et la même cause émane bien du même contribuable, l'autorité de la chose jugée est opposable audit contribuable (CE, arrêt du 5 juin 1939, n° 58834, RO, p. 328).

Cette condition touche à l'un des aspects de la relativité de la chose jugée dans le contentieux fiscal (cf. BOI-CTX-DG-20-20-30-II), à savoir que celle-ci ne vaut que pour les parties en cause et n'a pas d'effet vis-à-vis des tiers qui ne peuvent pas l'invoquer et auxquels elle ne peut être opposée.

Remarque : Les contribuables, de même que l'Administration, peuvent seulement, dans un litige donné, faire état de la jurisprudence des tribunaux rendue sur des affaires offrant des points communs avec ce litige, mais le juge a alors toute liberté d'appréciation.