Date de début de publication du BOI : 17/12/2013
Identifiant juridique : BOI-BIC-PROV-20-10-20

BIC - Provisions – Conditions de constitution – Conditions de fond – Caractère précis de la perte ou de la charge

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Pour qu'une provision puisse être admise en déduction pour la détermination du résultat fiscal d'un exercice, il faut que la perte, la charge ou la dépréciation envisagée soit nettement précisée.

Une jurisprudence abondante a permis d'expliciter la portée de cette condition qui s'applique tant à l'objet de la provision, c'est-à-dire à la charge ou à la dépréciation qu'elle est destinée à couvrir, qu'à son montant.

I. Nature de la perte ou de la charge

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La nature de la perte ou de la charge envisagée de même que, le cas échéant, l'élément d'actif faisant l'objet de la dépréciation considérée comme probable, doivent être individualisés avec précision.

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En application de ce principe, le Conseil d'État a jugé que si une entreprise peut valablement constituer une provision à raison de créances dont elle établit le caractère douteux ou irrécouvrable, la déduction de provisions destinées à couvrir un risque général de non-recouvrement des créances ne peut être autorisée (CE, arrêt du 26 novembre 1945, n° 72282, RO, p. 319).

Le Conseil d'État a également jugé qu'une provision calculée de manière purement forfaitaire et globale et sans distinguer entre les divers risques ne saurait être admise en déduction pour la détermination du résultat fiscal (CE, arrêt du 9 novembre 1987, n°54464).

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D'autre part, la Haute Assemblée a refusé d'admettre la déduction d'une provision pour gratifications au personnel dans une espèce où l'entreprise ne justifiait pas avoir pris à l'égard de ce dernier des engagements formels pouvant être regardés comme comportant une charge nettement précisée dont l'échéance au cours de l'exercice suivant était certaine (CE, arrêt du 19 mai 1947, n° 78832, RO, p. 226).

II. Montant de la provision déductible - mode d'évaluation

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Pour qu'une perte ou charge soit considérée comme « nettement précisée » au sens du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts (CGI), il convient que son montant puisse être évalué avec une approximation suffisante, c'est-à-dire à partir d'éléments réels.

Remarque : Certaines provisions constituées en vertu de textes particuliers présentent un caractère forfaitaire. Il convient de rappeler à cet égard qu'il ne s'agit pas là de véritables provisions, au sens strict du mot, c'est-à-dire destinées à faire face à des pertes ou à des charges, mais qu'elles s'apparentent plutôt à des réserves placées sous un régime fiscal particulier. Ces “ provisions ” font l'objet du titre 6 (BOI-BIC-PROV-60).

L'application de ces principes a, pendant longtemps, interdit l'utilisation d'une méthode forfaitaire d'évaluation. Toutefois, le Conseil d'État ayant admis puis confirmé la validité de méthodes statistiques, dès lors qu'elles permettent d'obtenir une approximation suffisante de l'évaluation de la charge, l'Administration a été amenée à préciser sa doctrine.

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La déduction fiscale d'une provision n'est pas subordonnée à l'obligation de couvrir intégralement la perte ou la charge envisagée.

Il a été jugé à cet égard qu'après avoir calculé avec une approximation suffisante - à partir d'une étude de coût de revient - les charges à prévoir pour l'exécution de contrats d'entretien d'appareils installés chez ses clients, une entreprise était parfaitement fondée à constituer une provision d'un montant inférieur à ladite évaluation (CE, arrêt du 5 mars 1975, n°89781, RJ II, p.35).

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En tout état de cause, les sommes qui peuvent être affectées en franchise d'impôt à la constitution d'une provision ne doivent pas dépasser la valeur nette comptable des éléments d'actif dont la perte est probable ou le montant des charges qu'il est raisonnable d'envisager pour le ou les exercices suivants.

La Haute Assemblée a jugé à cet égard qu'une charge, même si elle est bien précisée et certaine dans son principe, ne peut être constatée à l'avance sous forme de provision dans la mesure où son montant est indéterminé à la clôture de l'exercice, par le fait qu'elle doit être fixée par une décision ultérieure des gérants et qu'aucune convention ne permet de la calculer avec exactitude (CE, arrêt du 6 février 1961, n° 44779, RO, p. 286).

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S'agissant des modalités de calcul des provisions pour charges, le Conseil d'Etat a par ailleurs distingué les principes d'évaluation concernant les provisions pour perte, d'une part, et les provisions pour charges, d'autre part (CE, arrêt du 9 février 2012, n°334154, ECLI:FR:CESSR:2012:334154.20120209).

Concernant les provisions pour perte, il convient de comparer les coûts supportés par l'entreprise à  raison de cette perte et les recettes qu'elle est susceptible d’escompter à ce titre (indemnité d'assurance par exemple). Dans l'hypothèse où cette comparaison aboutit à un solde net positif pour l'entreprise, aucune provision pour perte n'est admise en déduction.

En ce qui concerne les provisions pour charges, l'entreprise est fondée, conformément au principe comptable de non-compensation, à constituer une provision à hauteur du montant total des dépenses probables qu'elle sera amenée à supporter au titre d'exercices ultérieurs (par exemple charge de travaux de réparation ou d'entretien), indépendamment des produits qu'elle escompte percevoir.

Sur la distinction entre provisions pour pertes et pour charges issues du 5° du 1 de l'article 39 du CGI, il convient de se reporter au BOI-BIC-PROV-10 au I-A § 30.

Par ailleurs, l'évolution de la jurisprudence du Conseil d'État relative aux modalités de calcul des provisions a conduit l'administration à préciser sa doctrine.

A. Jurisprudence

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L'évaluation de la provision doit être faite au plus près de la réalité.

À cet égard, il convient de considérer que les provisions déterminées forfaitairement par application de pourcentages - même si ces derniers résultent d'études statistiques - ne répondent pas aux conditions de déduction fixées par 5° du 1 de l'article 39 du CGI.

Le Conseil d'État a ainsi jugé :

- que la provision constituée par une entreprise en vue de faire face au risque de non-recouvrement de ses créances ne pouvait, même dans la mesure où elle correspondait à la prime exigée par une compagnie pratiquant l'assurance contre le même risque, être admise en déduction des bénéfices imposables dès lors que, calculée en appliquant un pourcentage arbitraire au montant total des créances à recouvrer, elle n'avait pas été déterminée en fonction des seules créances dont des événements précis, survenus en cours d'exercice, permettaient de considérer le recouvrement comme douteux (CE, arrêt du 9 avril 1956, n° 25244, 7e et 8e s.-s., RO, p. 71) ;

- que lorsqu'une provision a été calculée en appliquant un pourcentage forfaitaire au chiffre d'affaires annuel de l'entreprise, la circonstance tirée de ce que le total des pertes réellement subies par la société aurait été, en définitive, supérieur à la provision litigieuse, ne peut être retenue (CE, arrêt du 20 décembre 1963, n° 55596, RO, p. 468) ;

- que la faculté accordée aux entreprises de porter en provision au passif du bilan de clôture d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement est subordonnée à la condition, notamment, que ces pertes et charges soient évaluées avec une approximation suffisante. Ne remplit pas cette condition et, par suite, ne peut être admise en déduction du bénéfice imposable, la provision constituée par un entrepreneur de couverture et de plomberie pour faire face aux pertes probables résultant des rabais qu'il sera ultérieurement amené à consentir sur le montant des créances inscrites en comptabilité, lorsque ces pertes ont été calculées en appliquant un pourcentage forfaitaire de 50 % au montant des mémoires adressées aux clients (CE, arrêt du 15 décembre 1971, n°75407, RJ II, p. 205);

- dans le cas d'un établissement d'enseignement par correspondance qui avait déterminé, par application d'un pourcentage forfaitaire de 75 % au produit du prix de revient des cours et matériels par le nombre d'élèves inscrits au 31 décembre, le montant de la provision destinée à couvrir les frais de correction de devoirs et le coût du matériel d'enseignement à remettre aux élèves dont il aurait à assumer la charge pendant l'exercice suivant celui au cours duquel les droits d'inscription avaient été encaissés, que le mode de calcul ainsi retenu n'était pas propre à exprimer avec une approximation suffisante le montant des charges que cet établissement pouvait s'attendre à supporter au cours de l'exercice à venir (CE, arrêt du 18 juin 1971, n°77988, RJ II,p. 110).

- qu'une provision n'est pas déterminée avec une approximation suffisante et, par suite, n'est pas déductible pour le calcul de l'impôt, s'il n'est pas procédé à une évaluation précise des charges probables qu'elle est destinée à couvrir (CE, arrêt du 4 juillet 1973, n° 77694, RJ II, p. 49) ;

- qu'une entreprise qui, pour déterminer le montant de provisions pour dépréciation de son stock, avait classé les éléments de celui-ci en catégories générales et appliqué des taux globaux de dépréciation à la valeur des marchandises comprises dans ces catégories, sans pouvoir fournir de précisions sur la nature exacte, le nombre et la valeur unitaire des articles sujets à dépréciation, ne pouvait prétendre avoir exprimé avec une approximation suffisante le montant de la dépréciation qu'elle s'attendait à supporter (CE, arrêt du 16 avril 1975, n°93460, RJ II, p. 154);

- qu'une provision calculée de manière purement forfaitaire et globale et sans distinguer entre les divers risques ne saurait être admise en déduction pour la détermination du résultat fiscal (CE, arrêt du 9 novembre 1987, n°54464 déjà cité ; cf. I § 20).

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Toutefois, le fait qu'une provision soit calculée forfaitairement ne suffit plus à lui seul à établir que la charge ou la perte n'est pas nettement précisée au sens du 5° du 1 de l'article 39 du CGI.

Le Conseil d'État a en effet assoupli sa position en ce qui concerne le recours à des méthodes statistiques et confirmé cette tendance.

Cette position résulte d'un arrêt du Conseil d' Etat du 7 novembre 1975, n° 86136, rendu par les trois sous-sections fiscales réunies, dans l'espèce suivante.

Une entreprise exploitant un magasin de vêtements de confection avait, en vue de constater la perte de valeur des vêtements non revendus l'année même de leur acquisition, constitué une provision pour dépréciation du stock calculée en appliquant au coût réel des vêtements en stock des taux d'abattement différents selon les catégories « hommes, dames, enfants » et variant en fonction du temps écoulé depuis leur entrée dans les stocks.

Jugé que, dans les circonstances de l'espèce, la méthode utilisée permettait de déterminer d'une façon aussi exacte que possible le cours du jour des articles en stock. Par suite, cette provision correspondait à une dépréciation évaluée avec un caractère d'approximation suffisant pour faire prévoir une perte nettement précisée au sens du 5° du 1 de l'article 39 du CGI et, de ce fait, devait être admise en déduction des résultats de l'entreprise (CE, arrêt du 7 novembre 1975, n° 86136, RJ II, p. 154).

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Le Conseil d'État a confirmé la validité des méthodes statistiques. Il a ainsi jugé qu'une société qui a pris l'engagement de verser à ses salariés un « complément de retraite » peut valablement estimer qu'elle a contracté envers l'ensemble de son personnel une charge probable. Par suite, elle est fondée à constituer une provision pour y faire face dès lors que cette charge est nettement déterminée dans son objet et dans son montant. En ce qui concerne le montant de la provision constituée à la clôture de chaque exercice, la Haute Assemblée a également jugé, d'une part, qu'il découle de la nature même de l'obligation contractée que ce montant doit être calculé selon une méthode statistique et, d'autre part, que la méthode employée qui se réfère à des barèmes utilisés par la caisse des dépôts et consignations ne prête pas à critique (CE, arrêt du 2 février 1983, n° 29069).

En ce qui concerne l'arrêt susvisé il convient toutefois de noter que :

1° :  Cet arrêt infirme une précédente décision rendue le 30 janvier 1970 n° 76576 (BOI-BIC-PROV-20-10-30 au III-1 § 60) ainsi que la doctrine administrative résultant des réponses ministérielles Rufenacht et Longuet (RM Rufenacht, RM Longuet JO, déb. AN du 18 mai 1981, p. 2084, n°s 21849 et 42755) ;

2° :  Le premier alinéa du 5° du 1 de l'article 39 du CGI, dans sa rédaction issue de la loi de finances pour 1985 (loi n° 84-1208 du 29 décembre 1984) interdit la déduction au plan fiscal des provisions pour charges de retraite ou de préretraite et précise que cette mesure revêt un caractère interprétatif. Le champ d'application de cette mesure est examiné au BOI-BIC-PROV-30-20-10-20.

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Il a également jugé qu'une approximation suffisante peut être obtenue par voie statistique si la méthode utilisée est véritablement appropriée aux données du problème et fondée, notamment, sur des données statistiques tirées de l'expérience. En revanche, un mode de calcul global qui ne repose pas sur une telle méthode statistique ne peut être regardé que comme étant purement forfaitaire et comme ne pouvant, dès lors, satisfaire à la condition ci-dessus définie (CE, arrêt du 11 décembre 1991, n°70727).

B. Doctrine

L'administration a été amenée à préciser sa doctrine ainsi qu'il suit.

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Il appartient au service, s'il estime qu'une telle provision a été constituée irrégulièrement, de démontrer par l'examen critique de ses modalités de calcul que la marge d'incertitude demeure appréciable et qu'il n'y a pas, dès lors, approximation suffisante. Le calcul doit être d'autant plus rigoureux et l'incertitude d'autant plus réduite que l'activité économique concernée est étrangère à l'évolution rapide de la mode ou des techniques.

Cependant, la méthode de calcul des provisions basée sur des données statistiques ne saurait recevoir une application systématique. Elle doit demeurer une exception à la règle selon laquelle les provisions doivent être calculées à partir d'éléments réels et non selon des procédés forfaitaires (cf. II-A § 80).

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En effet, s'il peut être admis, dans certains cas, que les entreprises de petite taille ne procèdent pas à des calculs poussés pour la détermination des provisions, mais puissent recourir à une méthode plus sommaire à la condition qu'elle soit aussi exacte que possible, il ne saurait en aller de même en ce qui concerne les entreprises importantes disposant de moyens techniques de gestion, notamment dans le domaine de l'informatique, permettant de procéder à des analyses offrant une grande fiabilité. Ces entreprises doivent à partir des éléments réels en leur possession pouvoir chiffrer avec le maximum de précision le montant des provisions qu'elles entendent déduire de leurs résultats.

Ces précisions ont été apportées à la suite de l'arrêt, reproduit ci-après, par lequel le Conseil d'État a confirmé la validité des méthodes statistiques de calcul des provisions.

Un laboratoire de fabrication et de ventes de produits pharmaceutiques qui, conformément à un usage de la profession, remplace ou rembourse les médicaments périmés que ses clients lui retournent, est en droit de constituer à la clôture de chaque exercice une provision destinée à faire face à la charge qui en résultera pour lui.

La circonstance que cette charge ne puisse être évaluée que par voie statistique ne fait pas obstacle, à elle seule, à ce que cette évaluation soit faite avec une approximation suffisante, selon une méthode fondée sur des données statistiques tirées de l'expérience.

Au cas particulier, jugé que la méthode consistant à évaluer la charge par référence à celle effectivement supportée durant l'exercice écoulé est satisfaisante, dès lors qu'il n'est pas allégué que le montant des ventes fût en baisse par rapport à celui des exercices précédents ou que la structure des ventes par catégorie de produits se fût modifiée dans le sens d'une augmentation relative des ventes de produits donnant lieu moins fréquemment à des reprises ou des remboursements (CE, arrêt du 28 mai 1980, n°15912, RJ II, p.58).