Date de début de publication du BOI : 12/09/2012
Identifiant juridique : BOI-INT-DG-10-30

L'interprétation par la jurisprudence de la CJUE des libertés fondamentales garanties par le Traité.

I. Le rôle de la jurisprudence de la CJUE

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Les sources du droit de l'UE sont des sources de droit écrit. Comme tout ordre juridique autonome, des sources de droit non écrites viennent les compléter.

Il en est ainsi de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui a pour mission, en application de l'article 19 du traité UE, d'assurer le respect du droit dans l'interprétation et l'application du Traité.

Depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne le 1er décembre 2009, l'ensemble du système juridictionnel de l'Union prend le nom de Cour de justice de l'UE (CJUE) composée de trois juridictions : la Cour de justice, le Tribunal et le Tribunal de la fonction publique.

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La CJUE juge que « si en l'état actuel du droit communautaire, la matière des impôts directs ne relève pas en tant que telle du domaine de compétence de la Communauté, il n'en reste pas moins que les États membres doivent exercer leur compétence dans le respect du droit communautaire» (CJCE 14 février 1995, Affaire 279/93, « Schumacker »).

Ainsi, l'exercice de la compétence fiscale d'un État membre de l'Union européenne est soumis aux contraintes du droit de l'UE qui tiennent à l'existence des libertés fondamentales garanties par le Traité. , Il en résulte que toute discrimination ou entrave à l'exercice des libertés de circulation européennes est prohibée, sauf si elle est justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général et proportionnée à l'objectif poursuivi.

L'objectif est de permettre que la bonne réalisation du marché intérieur ne soit pas compromise par l'effet de certaines dispositions fiscales internes.

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II. L'exemple des libertés d'établissement et de circulation des capitaux

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Les libertés d'établissement et de circulation des capitaux seront plus particulièrement étudiées compte tenu de leur impact majeur dans le domaine fiscal.

A. Définition

1. La liberté d'établissement

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Elle est consacrée par les articles 49 à 51 du traité FUE.

Elle a tout d'abord vocation à s'appliquer aux ressortissants d'un Etat membre exerçant une activité non salariée qui souhaitent s'établir dans un autre État membre, le droit des salariés de circuler librement étant assuré par la libre circulation des travailleurs (article 45 à 48 du traité FUE).

Mais, elle vise aussi bien les personnes physiques que les personnes morales. Le paragraphe 2 de l'article 49 du traité FUE prévoit que «la liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux».

La notion de constitution d'entreprise est entendue au sens large puisque le premier paragraphe de l'article 49 du traité FUE précise que la liberté d'établissement concerne également «la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un État membre établis sur le territoire d'un État membre».

2. La libre circulation des capitaux

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Cette liberté est consacrée par les articles 63 à 66 du traité FUE. Elle vise à proscrire les restrictions aux mouvements de capitaux et aux paiements entre les États membres mais aussi entre les États membres et les pays tiers (CJCE 18 décembre 2007, Affaire C-101/05, « Skatteverket c/ A»).

L'article 65 du traité FUE réserve néanmoins la possibilité pour les États membres, d'une part de distinguer les contribuables selon leur résidence ou le lieu d'investissement des capitaux, et d'autre part, de prendre toutes mesures indispensables à l'effet de faire échec aux infractions à la loi fiscale, pour autant que ces dérogations ne puissent constituer une discrimination arbitraire ou une restriction déguisée à ladite liberté.

B. Champ d'application de ces deux libertés

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En théorie, ces deux libertés peuvent être appliquées concurremment et la mesure nationale doit alors respecter les conditions énoncées par ces deux libertés.

Ainsi, la Cour de justice a précisé, en matière fiscale que « Quant à la question de savoir si une législation nationale relève de l'une ou l'autre des libertés de circulation, il résulte d'une jurisprudence à présent bien établie qu'il y a lieu de prendre en considération l'objet de la législation en cause ». Par suite, « une législation nationale qui soumet la perception de dividendes à un impôt dont le taux dépend de l'origine, nationale ou non, de ces dividendes, indépendamment de l'ampleur de la participation que l'actionnaire détient dans la société distributrice, est susceptible de relever aussi bien de l'article 43 CE (article 49 du traité FUE) relatif à la liberté d'établissement, que de l'article 56 CE (article 63 du traité FUE), relatif à la libre circulation des capitaux » (CJCE 24 mai 2007, Affaire C-157/05, «Holböck»).

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Cela étant, dans la pratique, le champ d'application respectif des libertés d'établissement et de circulation des capitaux n'est pas le même.

A cet égard, la Cour précise qu'en cas de doute, pour déterminer laquelle des deux libertés est principalement affectée par une situation litigieuse donnée, il convient de s'appuyer à la fois sur l'objet de la mesure nationale en cause, et, si nécessaire, sur les faits en présence (CJCE 13 avril 2000, Affaire C-251/98, « Baars »).

Il résulte ainsi de la jurisprudence constante de la CJUE qu'une législation nationale qui a vocation à s'appliquer aux seules participations permettant d'exercer une influence certaine sur les décisions d'une société et de déterminer les activités de celle-ci relève des dispositions du Traité relatives à la liberté d'établissement (CJCE 12 décembre 2006,Affaire C-446/04, Test Claimants in the FII Group Litigation, point 3 CJUE 12 septembre 2006, Affaire C-196/04, Cadbury Schweppes overseas, point 31). De telles participations sont notamment atteintes lorsque une entreprise établie sur le territoire d'un État membre détient au moins 25 % du capital d'une autre entreprise située sur le territoire d'un autre État membre.

En revanche, des dispositions nationales qui trouvent à s'appliquer à des participations effectuées dans la seule intention de réaliser un placement financier sans intention d'influer sur la gestion et le contrôle de l'entreprise doivent être examinées exclusivement au regard de la libre circulation des capitaux (en ce sens, CJCE 12 décembre 2006, Affaire C-446/04 précitée, Test Claimants in the FII Group Litigation, point n° 38 ; CJCE 17 septembre 2009, Affaire C-182/08, Glaxo Wellcome, points 40 et 45 à 52).

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Il résulte des principes dégagés par la jurisprudence récente de la CJUE qu'un contribuable ne peut se prévaloir de manière alternative de ces deux libertés et ne peut donc exciper, devant le juge, l'atteinte portée cumulativement par la mesure nationale qui lui est appliquée à la liberté d'établissement et à la liberté de circulation des capitaux garanties par le Traité.

Ainsi, lorsque le litige principal porte sur l'impact d'une législation nationale sur la liberté d'établissement, seules les dispositions du Traité relatives à cette liberté sont applicables, les éventuels effets restrictifs que cette même législation pourraient entraîner à l'égard de la liberté de circulation des capitaux étant considérés par la jurisprudence comme la conséquence inéluctable d'une éventuelle entrave à la liberté d'établissement ne justifiant pas un examen autonome de ladite législation au regard de l'article 63 du traité TFUE (CJCE 18 juin 2009, Affaire C-303/07, Aberdeen Property Finvest Alpha Oy, points 34 et 35 ; CJCE 26 juin 2008, Affaire C-284/06, « Burda GmbH », point 69).

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Ces principes s'avèrent d'une importance capitale en ce qui concerne l'évocation même d'une discrimination contraire aux libertés fondamentales garanties par le Traité puisque, dans certaines situations, ils peuvent aboutir à ce qu'un contribuable n'ait pas la possibilité d'arguer d'une discrimination du fait de l'application d'une législation fiscale nationale.

Ainsi, une société établie dans un État tiers ne peut se prévaloir de la liberté d'établissement dès lors qu'elle est établie sur le territoire d'un État non membre de l'Union européenne. Pour autant, et dès lors que la liberté applicable est à titre principal, la liberté d'établissement, ladite société ne peut pas davantage se prévaloir de la libre de circulation des capitaux au seul motif qu'elle a son siège dans un pays tiers à l'UE.

Exemple : une société mère étrangère établie sur le territoire d'un État tiers demande la restitution de la retenue à la source prélevée sur les dividendes versés par sa filiale française détenue à 98 % par application combinée des dispositions conventionnelles pertinentes et des articles 119 bis 2 et 187-1 du CGI, en alléguant une restriction de la liberté d'établissement induite par le traitement fiscal différencié dont elle fait l'objet, par comparaison avec la situation des sociétés mères établies en France. Une telle réclamation est irrecevable.

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La libre circulation des capitaux n'est applicable aux relations entre pays européens et pays tiers que dans certaines limites rappelées par la jurisprudence (CJCE 18 décembre 2007, Aff. C-101/05, «Skatteverket c/ A précité).

Ainsi, le paragraphe 1 de l'article 64 du Traité FUE prévoit, notamment, la possibilité de maintenir certaines restrictions aux mouvements de capitaux à l'égard des pays tiers lorsqu'elles existaient au 31 décembre 1993.

Il résulte de cette disposition, appelée « clause de gel », que l'application des restrictions existant le 31 décembre 1993 en vertu du droit national ou du droit européen en ce qui concerne les mouvements de capitaux à destination ou en provenance des pays tiers reste possible.

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Par ailleurs, ces libertés ne sont pas applicables aux situations purement internes. Ainsi, elles ne peuvent être invoquées par un contribuable que dans la mesure où il existe une atteinte à sa liberté de circulation, soit lorsqu'il s'installe professionnellement dans un autre État membre, soit qu'il y procède à des investissements. Pour autant, l'existence d'un seul critère d'extranéité, comme la résidence dans un autre État, ne suffit pas à ouvrir droit à la protection instituée par le Traité.

Un ressortissant d'un État membre exerçant son activité professionnelle dans cet État sur la base d'une qualification et d'une expérience professionnelle qu'il y a acquises, ne peut invoquer le principe de la liberté d'établissement pour faire obstacle à une taxation plus lourde du fait qu'il réside autre État membre (CJCE 26 janvier 1993, Affaire C-112/91, «Hans Werner»).

Inversement, un contribuable ne peut exciper du droit de l'UE pour contester le fait que son État de résidence réserve un traitement fiscal plus favorable aux non-résidents. Cette situation appelée «discrimination à rebours» ne caractérise en effet pas une restriction aux libertés de circulation dès lors, au contraire, qu'elle incite et favorise l'entrée de capitaux ou d'agents économiques dans cet État (CJCE 16 juin 1994, Affaire C-132/93, « Steen »).

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Les libertés de circulation européennes n'ont pas davantage pour objet d'éradiquer les doubles impositions juridiques.

Jusqu'à l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009, l'article 293 du Traité instituant la Communauté européenne (traité TCE) émettait en la matière une simple recommandation mais non une obligation aux États membres d'éliminer ou réduire les doubles impositions : «Les États membres engageront entre eux, en tant que de besoin, des négociations en vue d'assurer, en faveur de leurs ressortissants (…) - l'élimination de la double imposition à l'intérieur de la Communauté».

Depuis, cet article a été abrogé .

Aussi, une disposition de droit interne soumettant à un seul et même taux d'imposition tant les dividendes domestiques que ceux distribués par une société établie dans un autre État membre, sans permettre, lors de l'imposition de ces derniers dans le chef des actionnaires, l'imputation de l'impôt prélevé à la source, n'a-t-elle pas été considéré par la CJCE comme portant atteinte à la liberté de circulation des capitaux (CJCE 14 novembre 2006, Affaire .C-513/04, «Kerckhaert et Morres»).

La double imposition de ces dividendes en l'espèce n'est que la traduction d'une compétence fiscale partagée par l'effet d'une convention fiscale bilatérale. En revanche, la question de savoir dans quelle limite l’État de résidence doit exercer cette compétence partagée relève de la sauvegarde du respect des libertés fondamentales.

Dans l'exemple précité, le respect de ces libertés trouve la réponse dans le traitement identique des dividendes de source domestique et ceux de source étrangère prévue par la législation de l’État de résidence.

III. L'étendue de ces libertés

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Un raisonnement en quatre étapes a été élaboré par la jurisprudence de la CJUE pour établir la conformité d'une législation nationale aux libertés fondamentales garanties par le traité. Pour ce faire, il doit être établi que cette législation : (1) ne met pas en œuvre un traitement fiscal désavantageux à l'égard des opérations transfrontalières par comparaison avec les opérations domestiques de même nature, , ou, à défaut, (2) se justifie par une raison impérieuse d'intérêt général (3) tout en étant propre à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi, (4) sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre (CJCE 4 juillet 2000, Affaire C-424/97, «Haim»).

Cette grille de lecture est présente dès les premiers arrêts rendus par la CJCE en matière de fiscalité directe (par exemple, CJCE 28 janvier 1992, Affaire C-204/90, « Bachmann »).

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Le raisonnement de la CJUE lors de l'examen d'un dispositif fiscal national au regard des libertés fondamentales garanties par le Traité, qui sera examiné infra, peut ainsi être résumé schématiquement de la manière suivante :

A. L'interdiction des restrictions

1. Le principe de l'interdiction

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Le principe d'interdiction des restrictions aux libertés fondamentales garanties par le Traité s'applique :

- quels que soient leurs types : une discrimination, directe ou indirecte, ou une entrave ;

- quelle que soit leur importance : une restriction à la liberté d'établissement de faible portée ou d'importance mineure est prohibée par l'article 43 CE (article 49 du traité FUE) (CJCE 19 janvier 2006, Aff C-265/04, «Bouanich» et CJCE 14 décembre 2006, Aff.170/05, «Denkavit Internationaal BV»).

La jurisprudence va au-delà du critère de la nationalité et privilégie une approche voisine de l'égalité de traitement, sans la généraliser, dans la mesure où une discrimination à rebours reste possible (cf supra n°300).

Ainsi, sont prohibées non seulement les discriminations fondées sur la nationalité mais également toutes les formes dissimulées de discrimination qui aboutissent en fait au même résultat, par l'application d'autres critères de distinction.

2. Le critère de la résidence en matière fiscale

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En matière fiscale, le critère de distinction souvent utilisé est celui de la résidence dans la mesure où, ainsi que le postule la Cour de justice, la situation des résidents et celle des non-résidents ne sont, en règle générale, pas comparables, ce qui rend donc admissible une différence de traitement fiscal (CJCE 14 février 1995, Affaire C-279/93, « Schumacker », déjà citée)

Cela étant, si, pour la règle fiscale en cause, la résidence ne crée aucune différence de situation objective entre résidents et non-résidents, ces derniers doivent être traités de manière identique.

Aussi, convient-il de rechercher l'objet précis de la mesure fiscale nationale pour identifier les situations non comparables : si la différence de traitement est fondée sur des différences de situations en rapport avec l'objet de la législation, cette différence revêt alors un caractère admissible.

Par exemple, dans sa décision «D» (CJCE 5 juillet 2005, Aff. C-376/03), la Cour a considéré que «les articles 56 et 58 CE (articles 63 et 65 du traité FUE) ne s'opposent pas à une réglementation selon laquelle un État membre refuse aux contribuables non-résidents, qui détiennent l'essentiel de leur fortune dans l’État dont ils sont résidents, le bénéfice des abattements qu'il accorde aux contribuables résidents».

3. Les différentes formes d'interdictions des restrictions

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L'interdiction des mesures fiscales nationales qui restreignent les libertés d'établissement et de circulation des capitaux est garantie à l'entrée. Un État membre ne peut ainsi faire obstacle à l'établissement d'entreprises ou à l'investissement de capitaux sur son territoire par des ressortissants d'autres États membres (ou d’États tiers s'agissant de la liberté de circulation des capitaux).

Est ainsi susceptible d'être jugée restrictive, une retenue à la source sur les dividendes de source nationale lorsqu'ils sont versés à une société mère étrangère (dividendes sortants), qui n'est pas en mesure d'imputer cette retenue à la source sur l'impôt dû dans son État de résidence, alors qu'une société mère résidente bénéficie d'une exonération à raison de telles distributions et qu'aucune retenue à la source n'est prélevée sur les dividendes domestiques. (CJCE 14 décembre 2006, Affaire C-170/05, « Denkavit Internationaal BV»..

L'interdiction des mesures fiscales nationales restreignant les libertés d'établissement et de circulation des capitaux est également garantie à la sortie. Il est fait interdiction à un État membre de dissuader ses propres ressortissants de s'implanter ou d'investir dans un autre État membre (ou d'un État tiers s'agissant de la liberté de circulation des capitaux).

Pourrait ainsi constituer une restriction à la liberté d'établissement un mécanisme d'imposition immédiate des plus-values non encore réalisées en cas de transfert du domicile fiscal d'un contribuable dans un autre État membre, alors que le fait générateur de l'impôt pour les personnes n'ayant pas transféré leur domicile à l'étranger intervient uniquement lors de la réalisation effective des plus-values (CJCE 11 mars 2004, Affaire C-9/02 « Lasteyrie du Saillant ».

De la même manière, pourrait être considérée comme restrictive une législation refusant l'imputation par une société résidente des pertes « définitives » (c'est-à-dire, celles qui ne peuvent plus être imputées ou reportées) subies dans un autre État membre par une filiale établie alors même que les pertes des filiales résidentes sont quant à elles imputables (CJCE 13 décembre 2005, Affaire C-446/03, «Marks & Spencer»).

Enfin, les libertés de circulation européennes s'opposent de la même façon à une réglementation en vertu de laquelle un contribuable résident pourrait bénéficier d'un mécanisme d’élimination de la double imposition économique au titre des seuls dividendes perçus auprès de sociétés établies dans le même État, à l'exclusion des dividendes versés par une société établie dans un autre État membre (CJCE 7 septembre 2004, Affaire C-319/02,  « Manninen »).

B. La justification des restrictions discriminatoires

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La violation des libertés fondamentales garanties par le Traité n'est pas établie par la seule identification d'une restriction, atteinte ou entrave à ces libertés et la reconnaissance de son caractère discriminatoire.

En effet, des restrictions discriminatoires peuvent être justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général, sous réserve toutefois que la mesure nationale soit propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et n'aille pas au-delà de qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

Certaines justifications tirées de motifs intéressant l'ordre public, la sécurité ou la santé publiques sont prévues par le Traité lui-même (articles 36, 45, 52, 65 du traité FUE par exemple) mais ne sont pas opérantes dans le domaine de la fiscalité directe.

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En revanche, différents motifs ont été dégagés par la jurisprudence de la CJUE, admettant que des réglementations fiscales nationales restrictives puissent être justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général, autres que celles figurant au Traité.

Certains de ces motifs ont été jugés non pertinents comme celui de la nécessité d'éviter la perte de recettes fiscales (CJCE 16 juillet 1998, Affaire C-264/96 « ICI » ; CJCE 12 septembre 2006, Affaire C-196/04, « Cadbury Schweppes »), celui de la prise en compte d'avantages fiscaux dont bénéficie par ailleurs le contribuable dans son Etat de résidence (CJCE 28 janvier 1986, Affaire 270/83 « Commission c/ France ») ou encore celui tiré d'arguments purement économiques telle la volonté de promouvoir l'économie du pays (CJCE 6 juin 2000, Aff.aire C-35/98, «Verkooijen »).

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D'autres justifications ont été en revanche considérées comme pertinentes.

L'efficacité des contrôles fiscaux a été érigée en raison impérieuse d'intérêt général susceptible de justifier une restriction à l'exercice des libertés fondamentales (CJCE 15 mai 1997, Affaire 250/95, « Futura Participations et Singer »), autorisant ainsi un État membre « à appliquer des mesures qui permettent la vérification claire et précise du montant des frais déductibles dans cet État » (CJCE 8 juillet 1999, Affaire C-254/97, «Baxter»). En vertu d'une jurisprudence plus récente, cette justification connaît toutefois des limites dans le cadre des opérations entre États membres de l'UE, s'il peut être établi que la Directive 77/799/CEE du Conseil du 19 décembre 1977 relative à l'assistance mutuelle entre autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs offre à ces dernières des possibilités d'obtenir les informations nécessaires(CJCE 14 février 1995, Affaire C-279/93, « Schumacker »).

La prévention du risque de fraude et d'évasion fiscales figure également au nombre des justifications reconnues légitimement invocables, mais dont l'application est néanmoins limitée par la Cour aux hypothèses où la législation en cause «a pour objet spécifique d'exclure d'un avantage fiscal les montages purement artificiels dont le but serait de contourner la loi fiscale»(CJCE 16 juillet 1998, Affaire C-264/96, «ICI»).

La Cour a également admis que la préservation de la cohérence du système fiscal peut constituer une raison impérieuse d'intérêt général, lorsqu'il existe un lien direct entre, d'une part, un désavantage fiscal et sa contrepartie, d'autre part, dans le chef du même contribuable (CJCE 23 octobre 2008, Affaire C-157/07, « Krankenheim Ruhesitz »).

Enfin, la préservation de la répartition équilibrée du pouvoir d'imposer entre Etats membres (« CJUE 25 février 2010, Affaire C-337/08, « X Holding BV »), ou la lutte contre les risques de double emploi des pertes (CJCE 15 mai 2008, Affaire C-414/06, « Lidl Belgium ») sont d'autres exemples de justifications ayant permis de valider des restrictions aux libertés du TFUE.

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Les justifications pour motif impérieux d'intérêt général retenues comme pertinentes doivent par ailleurs s'avérer strictement nécessaires et proportionnées à l'objectif poursuivi.

A ce titre, la Cour s'assure que le même but ne saurait être atteint par d'autres moyens moins contraignants et que les moyens mis en œuvre sont proportionnés par rapport au but recherché (CJCE 13 décembre 2005, Affaire C-446/03, « Marks & Spencer »).

Ainsi, la CJCE a considéré compatible avec la libre circulation des capitaux, qu'une personne morale établie au Liechtenstein ne soit pas admise à échapper à la taxe de 3 % sur les immeubles détenus en France par des personnes morales étrangères, prévue par les dispositions de l'article 990 D du code général des impôts. L'article 990 E du même code prévoit notamment que les personnes morales ayant leur siège dans un Etat ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscales, déclarent certaines informations, parmi lesquelles l'identité et l'adresse de leurs associés, afin d'échapper à ladite taxe. Or, à la date des faits au principal, le Liechtenstein n'avait pas conclu avec la France une telle convention. La Cour a jugé que l'exigence d'une telle convention afin de postuler l'exonération de taxe était constitutive d'une restriction à la libre circulation des capitaux, justifiée par la nécessité d'assurer l'efficacité du contrôle fiscal. Or, l'efficacité du contrôle fiscal ne saurait être préservée par une autre mesure moins restrictive (CJCE 28 octobre 2010, Affaire C-72/09, « Rimbaud » ).