BIC - Provisions – Conditions de constitution – Conditions de fond – Caractère probable de la perte ou de la charge
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La perte, la dépréciation ou la charge en vue de laquelle est constituée une provision doit être probable et non pas simplement éventuelle. À cet égard, la probabilité doit être distinguée de la simple éventualité en ce sens qu'elle est établie par des circonstances précises particulières, alors que l'éventualité résulte d'un simple risque d'ordre général.
D'autre part, il n'y a pas lieu de constituer une provision lorsque la perte ou la charge envisagée est non pas probable, mais certaine à la fois dans son principe et dans son montant à la clôture de l'exercice.
I. Distinction entre probabilité et éventualité
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Une provision ne peut être admise en déduction pour la détermination du résultat fiscal d'un exercice que si des circonstances particulières donnent un caractère hautement probable à la réalisation ultérieure des événements qui sont susceptibles d'entraîner pour l'entreprise la perte ou la charge envisagée. On ne saurait donc déduire des provisions fondées sur des risques purement éventuels.
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La question de savoir si la perte ou la charge envisagée peut être regardée comme probable ou éventuelle est le plus souvent une question de fait qui doit être résolue en fonction des circonstances propres à chaque affaire. Les exemples ci-après, extraits de la jurisprudence, éclairent plus particulièrement cette notion de probabilité.
A. Cas dans lesquels la probabilité de la charge ou de la dépréciation envisagée a été jugée suffisante pour justifier une provision
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- provision destinée à faire face aux frais de déménagement découlant du fait que, le bail de son usine étant venu à expiration, une entreprise industrielle était appelée à transférer ses installations dans un autre local (CE, arrêt du 6 mars 1959, n° 84260, RO, p. 372) ;
- provision pour dépassement de crédits correspondant au montant des travaux exécutés par une entreprise sur divers monuments historiques et excédant les crédits alloués par l'État : le règlement de ces travaux supplémentaires, exécutés aux risques et périls de l'entrepreneur, a été jugé aléatoire et la perte envisagée, probable (CE, arrêt du 18 février 1970, n° 74656, RJ II, p. 35).
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De même, il a été jugé :
- que lorsque, conformément à l'usage existant dans la région, une entreprise de laiterie paie ses achats de lait selon le prix d'été et, postérieurement à la clôture de chaque exercice, verse à ses fournisseurs un complément de prix applicable aux livraisons d'hiver et calculé par référence aux avantages que les coopératives laitières consentent à leurs adhérents pour les mêmes livraisons, ce complément de prix constitue, même s'il ne résulte pas d'un engagement écrit, une charge probable, nettement précisée quant à sa nature, d'une approximation suffisante quant à son montant et qui, se rattachant aux achats effectués au cours de l'exercice, peut faire l'objet d'une provision (CE, arrêt du 12 mai 1971, n° 78565, RJ II, p. 86) ;
- qu'une entreprise, qui a obtenu par jugement une indemnité ayant le caractère d'un profit exceptionnel, peut, dès lors que la partie adverse fait appel de ce jugement, constituer une provision pour risque. Au cas particulier, le Conseil d'État a considéré que la charge susceptible de résulter de la décision d'appel à intervenir pouvait être regardée comme probable et qu'elle avait été estimée avec une précision suffisante eu égard aux conclusions de l'appel (CE, arrêt du 31 mai 1978, n° 5107, RJ II, p. 80) ;
- qu'une société qui a exploité une carrière de gypse souterraine désormais abandonnée mais située sous des terrains sur lesquels ont été édifiés des pavillons, est fondée à constituer une provision en vue de faire face aux dommages susceptibles d'affecter les constructions dès lors que le processus de dégradation et d'effondrement des carrières de gypse constitue un phénomène naturel continu dont, en conséquence, la probabilité s'accroît avec le temps ; pour ces raisons, la société ne saurait éluder la responsabilité de la réparation des dommages de toute nature susceptibles de survenir (CE, arrêt du 14 janvier 1983, n° 33536).
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Cas particulier : Dépenses afférentes à des travaux de remise en état des sols de carrières après exploitation.
Les dispositions législatives et réglementaires actuellement en vigueur obligent les exploitants de carrières, lorsque l'extraction des matériaux est achevée, à remettre les sols en état de façon telle que les terrains qui ont été exploités s'insèrent harmonieusement dans le paysage.
Ces dispositions qui sont rappelées et précisées dans les arrêtés portant autorisation d'exploiter donnent aux dépenses rendues nécessaires par la réhabilitation des sites exploités le caractère de frais généraux déductibles du résultat fiscal, pour autant du moins qu'elles n'ont pas pour effet de conférer aux terrains ainsi réhabilités une valeur supérieure à celle qui aurait été la leur si la carrière n'avait pas été ouverte.
Lorsqu'elles ont le caractère de frais généraux, ces dépenses peuvent faire l'objet d'une déduction anticipée sous la forme d'une provision en application du premier alinéa de l'article 39-1-5° du CGI, dès lors qu'elles apparaissent comme nettement précisées et rendues probables par des événements en cours.
La probabilité de la charge de remise en état du site peut être considérée comme démontrée du fait tant des obligations de portée générale déjà citées que des contraintes particulières figurant dans les arrêtés individuels d'autorisation.
B. Cas dans lesquels, en revanche, la charge ou la dépréciation couverte par la provision n'a pas été reconnue probable, mais seulement éventuelle
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- provision pour droits d'auteur réservés, destinée à couvrir les risques de procès que pourraient intenter les ayants droit de compositeurs décédés, dès lors qu'il n'existait à la clôture de l'exercice aucun litige, ni même aucune menace de litige. Une telle provision ne correspond, en effet, à aucune charge précise. Il en est de même lorsque, l'entreprise ayant gagné en première instance un procès intenté antérieurement, rien ne permet de supposer, à la fin de l'exercice, qu'elle ait à faire face aux conséquences d'une décision d'appel non encore intervenue (CE, arrêt du 30 juillet 1947, n° 78602, RO, p. 281) ;
- provision destinée à faire face aux charges résultant du licenciement de l'intégralité du personnel, lorsque l'entreprise n'établit pas qu'à la clôture de l'exercice des événements en cours rendaient probable un tel licenciement (CE, arrêt du 30 mai 1949, n° 97035, RO, p. 182) ;
- provision constituée par une entreprise fabriquant des équipements automobiles en vue de faire face, d'après les énonciations du relevé des provisions, à la dépréciation des pièces destinées à des véhicules dont la fabrication devait être arrêtée par les constructeurs. La condition de probabilité n'a pas été considérée comme remplie, dès lors qu'aucun arrêt de fabrication de nature à entraîner la dépréciation desdites pièces et organes n'était prévu à la date de constitution de la provision litigieuse (CE, arrêt du 29 avril 1969, n° 74863, 7e, 8e et 9e s.-s. réunies, RJCD I, p. 102) ;
- provision pour remise éventuelle de locaux loués dans leur état primitif. Une entreprise qui a fait subir diverses transformations à un immeuble dont elle est locataire ne saurait, en effet, se prévaloir de ce que son bail lui impose l'obligation de rétablir, à sa sortie des lieux, les locaux dans l'état où ils se trouvaient au début de la location pour constituer, en franchise d'impôt, une provision destinée à faire face aux travaux de remise en état de ces locaux, dès lors qu'aucun fait précis ne permettait, à la clôture de l'exercice, de considérer comme probable la résiliation ou la non-reconduction du bail en cours (CE, arrêt du 22 octobre 1956, n°s 32617 et 33009, RO p. 181) ;
- provision constituée par une entreprise concessionnaire en vue du renouvellement de certains agencements et installations qu'elle doit tenir en parfait état d'entretien et remettre gratuitement à l'autorité concédante à l'expiration de la concession, dès lors que l'entreprise n'établit pas que certains événements rendaient prévisibles avec une certitude suffisante à la clôture de l'exercice les travaux de renouvellement ou de modification de ces éléments (CE, arrêt du 29 mai 1970, n°s 70943 et 71411, RJ II, p. 130) ;
- l'engagement pris par une compagnie d'assurances, conformément à une convention collective du travail, de verser à ses employés une indemnité de départ à la retraite lorsque ces derniers ont au moins dix ans de présence dans l'entreprise, ne peut être regardé comme correspondant à « une charge nettement précisée et que des événements en cours rendent probable » au sens de l'article 39-1-5° du CGI, susceptible de faire l'objet d'une provision. En effet, si les intéressés acquièrent, année par année, droit à ladite indemnité, le paiement de cette dernière ne peut intervenir qu'au jour du départ à la retraite du salarié remplissant à cette date les conditions requises pour en bénéficier (CE, arrêt du 30 janvier 1970, n° 76576, RJ II, p. 22 ; voir remarque n° 7 infra).
Remarques :
- cet arrêt a été infirmé par une décision du Conseil d'État du 2 février 1983 (n° 29069) reproduite au BOI-BIC-PROV-20-10-20 n° 90 ;
- l'article 39-1 5° du CGI interdit désormais la déduction au plan fiscal des provisions pour charges de retraite ou de préretraite et précisé que cette mesure revêt un caractère interprétatif.
Le champ d'application de cette mesure, son entrée en vigueur et le sort des provisions déjà déduites au plan fiscal sont examinés plus loin, BOI-BIC-PROV-30-20-10-20.
- une commune avait manifesté l'intention d'ouvrir une nouvelle voie dont le tracé pouvait, selon l'un des projets envisagés, obliger une entreprise à déplacer le dépôt qu'elle possédait sur son territoire.
Ce projet n'étant resté qu'à l'état de pure intention et aucun acte laissant présager sa mise en œuvre n'ayant été pris, la charge éventuelle correspondante n'avait pas un caractère probable et ne pouvait justifier la constitution d'une provision (CE, arrêt du 24 juillet 1981, n° 17974, 7e et 8e s.-s.) ;
- une société A s'était engagée pour une durée de 5 ans à fournir des articles à une société B qui lui réservait l'exclusivité de son approvisionnement. La société A avait constitué une provision pour risque de mévente en cas de non renouvellement du contrat. Elle prétendait que les produits restant en stock ne trouveraient pas de débouché eu égard à leur spécificité. Le Conseil d'État a jugé qu'aucune circonstance particulière et qu'aucun comportement du cocontractant ne permettaient de regarder comme probables des difficultés d'écoulement des stocks (CE, arrêt du 3 mars 1982, n° 24513, 8e et 9e s.-s.) ;
- provision destinée à faire face au risque de versement de pénalités contractuelles auxquelles elle pouvait être astreinte si le matériel qu'elle s'était engagée à construire ne satisfaisait pas à certaines performances techniques. Il a été jugé qu'un tel risque, dont la survenance aura pour effet de procurer à la société des recettes inférieures à celles qu'elle escomptait, ne peut faire l'objet, à une certaine date, d'une provision que si, à cette même date, les recettes attendues de l'exécution du contrat ont été tenues pour acquises et comptabilisées comme telles à l'actif du bilan.
Au cas particulier, la société n'ayant pas regardé les recettes attendues de l'exécution du contrat comme des créances acquises, ne pouvait en conséquence constituer une provision pour faire face à l'application éventuelle des pénalités contractuelles (CE, arrêt du 27 juillet 1979, n° 11716, RJ II, p. 76).
II. Distinction entre probabilité et certitude
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Pour être déductible, une provision doit être destinée à faire face à une perte ou une charge que des événements survenus pendant l'exercice et en cours à sa clôture rendent probable.
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En conséquence, il n'y a pas lieu de constituer une provision lorsque, à la clôture de l'exercice, la perte ou la charge envisagée est non pas probable, mais certaine à la fois dans son principe et dans son montant. La perte ou la charge doit, dans cette hypothèse, être déduite directement des résultats de l'exercice. Par suite, une provision correspondant à une créance dont la perte apparaîtrait comme certaine et définitive à la clôture de l'exercice serait irrégulière.
Une société avait constitué une provision destinée à prendre en compte les
effets de la
« démarque inconnue » sur ses stocks en magasin entre la date de l'inventaire
physique et la clôture de l'exercice. Le Conseil d'État a jugé que la société ne
pouvait constituer une provision pour constater des pertes déjà réalisées à la
clôture de l'exercice (CE, arrêt du 26 juillet 1991, n°
112906,
7e et 8e s.-s., Galeries Lafayette).
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Il convient de rappeler à cet égard que si la charge considérée, bien que définitivement engagée au cours de l'exercice et présentant pour l'entreprise le caractère d'une dette certaine quant à son existence et à son montant, n'a pas encore été acquittée à la clôture dudit exercice, elle doit être comprise parmi les charges de ce dernier, par inscription au compte du créancier intéressé ou à un compte de charges à payer.
Tel est le cas, notamment :
- des loyers échus ou courus et non encore payés ;
- des intérêts échus ou courus et non encore payés (les entreprises qui tiennent une comptabilité super-simplifiée sont toutefois autorisées à déduire les intérêts au titre de l'exercice de leur paiement) ;
- des impôts mis en recouvrement au cours de l'exercice et qui ne seront payés qu'au cours de l'exercice suivant ;
- des rabais à accorder, dont le montant est exactement connu à la clôture de l'exercice.
Sur la distinction entre les provisions et les charges à payer : cf. BOI-BIC-PROV-10 n° 170 et suiv..
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Le bénéfice de la jurisprudence citée ci-dessus ne peut bien entendu être revendiqué lorsque le contribuable a inscrit parmi ses charges ou charges à payer de l'exercice une charge qui était seulement probable à la clôture de cet exercice et qui, par suite, aurait dû donner lieu à la constitution d'une provision déductible sous des conditions de formes strictes (cf. BOI-BIC-PROV-20-20). Voir cependant cf. BOI-BIC-PROV-10 n° 250, la mesure de tempérament adoptée par l'Administration dans les cas de divergence entre les notions comptables et fiscales de « charges à payer ».