REC - Solidarité au paiement - Liquidateurs amiables - Responsabilité des détenteurs et séquestres de fonds - Obligation au passif des associés de sociétés civiles
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Le contrat de société est régi par les dispositions de l'article 1832 et suivants du code civil (C. civ.). Les dispositions de l'article 1845 et suivants du C. civ. s'appliquent à toutes les sociétés civiles à moins qu'il n'y soit dérogé par le statut légal particulier auquel certaines d'entre elles sont assujetties.
Ont le caractère civil toutes les sociétés auxquelles la loi n'attribue pas un autre caractère à raison de leur forme, de leur nature ou de leur objet.
Sous le titre « Engagement des associés à l'égard des tiers », les dispositions de l'article 1857 du C. civ. à l'article 1860 du C. civ. fixent le droit commun de ces sociétés, en vertu desquelles chaque associé est tenu indéfiniment sur ses biens propres au paiement des dettes de la société proportionnellement à sa part dans le capital social.
Certains groupements sont soumis à des règles particulières : les groupements d'intérêt économique (GIE), en vertu de l'article L. 251-1 du code de commerce (C. com.) à l'article L. 251-23 du C. com., poursuivent une activité civile ou commerciale et leurs membres répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales. Les membres se retirant du groupement restent toutefois responsables des dettes nées antérieurement à leur départ. Les membres arrivants sont également tenus du passif antérieur à leur arrivée.
Les sociétés civiles professionnelles sont régies par la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relative au sociétés civiles professionnelles et par la loi n° 72-1151 du 23 décembre 1972 modifiant la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles. Les associés sont indéfiniment responsables du passif social (loi n ° 66-879 du 29 novembre 1966, art. 15).
La mise en jeu de la responsabilité des associés est précédée par la poursuite préalable de la société sur son actif propre. La responsabilité des associés a un caractère subsidiaire qui implique des poursuites préalables et vaines contre la société. Dans certains cas, ces poursuites peuvent être limitées à une simple mise en demeure de payer infructueuse.
I. Les sociétés civiles concernées
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Les associés de sociétés civiles sont légalement tenus de participer au règlement du passif social exigible. Il résulte de cette obligation que les créanciers sociaux peuvent contraindre les associés à s'exécuter conjointement. Cet engagement personnel des associés résulte des dispositions de l'article 1857 du C. civ. et de l'article 1858 du C. civ. où est défini le régime de droit commun des sociétés civiles.
A. Le régime commun aux sociétés civiles
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Les sociétés civiles sont régies par l'article 1845 et suivants du C. civ.. L'article 1845 du C. civ. précise qu'ont le caractère civil toutes les sociétés auxquelles la loi n'attribue pas un autre caractère à raison de leur forme, de leur nature ou de leur objet. Autrement dit, ce type de société est un type résiduel défini comme tel par la loi. La loi reconnaît ainsi un caractère civil à toutes les sociétés auxquelles une disposition légale n'attribue pas un autre caractère, notamment commercial.
1. La personnalité morale et ses conséquences
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En vertu de l'article 1842 du C. civ., les sociétés autres que les sociétés en participation jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation. Les sociétés civiles ont l'obligation légale d'être immatriculées au registre du commerce et des sociétés (RCS). La personnalité morale leur confère un patrimoine distinct de celui des associés.
Les statuts de ces sociétés, déposés au RCS, mentionnent les apports de chaque associé. Par ailleurs, les cessions de parts font l'objet d'une inscription modificative. Dès lors, les créanciers sont informés de la composition du capital social, dans l'éventualité de l'engagement de la responsabilité des associés.
Remarque : Les conséquences de ce statut s'agissant de l'authentification des impositions dues par ces sociétés figurent au BOI-REC-PREA-10-10-30. Il en résulte notamment que la somme mentionnée dans l'avis de mise en recouvrement (AMR) ou l'avis d'imposition et la mise en demeure de payer est limitée à la part dont l'associé est redevable.
2. Les différents statuts de sociétés civiles
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Les activités civiles très diverses exercées par les sociétés peuvent être classées en deux grandes catégories :
- les sociétés à objet immobilier ;
- les autres sociétés civiles, et notamment celles constituées pour l'exercice d'une activité professionnelle libérale.
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Les sociétés civiles immobilières (SCI) peuvent revêtir des formes juridiques diverses. Les plus courantes sont :
- les SCI de droit commun, dites de gestion ;
- les sociétés civiles de construction-vente, régies par les dispositions de l'article L. 211-1 du code de la construction et de l'habitation (CCH), de l'article L. 211-2 du CCH, de l'article L. 211-3 du CCH et de l'article L. 211-4 du CCH, qui ont pour objet de construire un ou plusieurs immeubles en vue de leur vente en totalité ou par fractions ;
- les sociétés civiles de construction-attribution, régies par l'article L. 212-1 du CCH à l'article L. 212-17 du CCH, qui ont pour objet la construction ou l’acquisition d’immeubles en vue de leur division par fractions destinées à être attribuées aux associés en propriété ou en jouissance ;
- les sociétés d’attribution d’immeubles en jouissance à temps partagé, dites de « multipropriété », régies par la loi n° 86-18 du 6 janvier 1986 relative aux sociétés, qui ont pour objet la construction et l’acquisition d’immeubles ou de droits réels immobiliers en vue de leur attribution, en totalité ou par fractions, à usage d’habitation en jouissance par périodes à leurs associés.
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Les conditions de l’obligation de paiement du passif qui pèse sur les associés de ces sociétés peuvent être différentes de celles définies pour les sociétés civiles de droit commun. Les règles spécifiques concernant la mise en cause des associés de SCI sont précisées infra. À défaut, les SCI sont soumises au régime de droit commun défini par le code civil.
3. Les sociétés civiles non soumises à une législation particulière
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Aux termes de l'article 1857 du C. civ., les associés répondent indéfiniment sur tous leurs biens des dettes sociales, à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements.
Il est en outre précisé que l'associé qui n'a apporté que son industrie est tenu comme celui dont la participation dans le capital social est la plus faible.
Cette obligation au paiement à l'égard des tiers est en tous points comparable aux règles relatives à la contribution à la dette dans les rapports entre associés, édictées par les dispositions générales applicables à toutes les sociétés, à l'article 1844-1 du C. civ..
Par ailleurs, selon les dispositions de l'article 1858 du C. civ. : « les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu'après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale ».
En conséquence, un AMR doit avoir été préalablement notifié à la société puis une mise en demeure de payer.
À défaut d'exécution dans le délai de trente jours de l'envoi d'une mise en demeure de payer selon les dispositions de l'article L. 257-0 A du LPF et l'article L. 257-0 B du LPF, des poursuites en recouvrement peuvent immédiatement être engagées à l'encontre de la société, par toutes les voies de droit à la disposition du comptable public, et adaptées à la situation. Ce n'est qu'après avoir constaté que ces poursuites sont vaines et être en mesure d'en justifier que le comptable peut entreprendre le recouvrement à l'égard des associés.
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Il y a lieu de délivrer alors à chacun des associés un AMR cantonné à la partie de la dette qui peut leur être réclamée individuellement, c'est-à-dire celle qui correspond à leurs droits sociaux. L'article R* 256-2 du LPF prévoit que lorsqu'un comptable poursuit le recouvrement d'une créance à l'égard de débiteurs tenus conjointement ou solidairement au paiement de celle-ci, il notifie préalablement à chacun d'eux un AMR (BOI-REC-PREA-10-10-30).
Cette obligation s'applique notamment aux sociétés civiles immobilières de droit commun dont l'objet consiste en l'acquisition et la gestion d'immeubles.
B. Les sociétés civiles soumises à une législation particulière
1. Les sociétés civiles professionnelles
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Les sociétés civiles professionnelles (SCP) sont des structures destinées à l'exercice en commun par des personnes physiques d'une profession libérale réglementée.
La loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 est une loi cadre commune à toutes les professions libérales. L'article 15 de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 précise que les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à l'égard des tiers.
Remarque : La loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées a modifié l'article 15 et l'article 23 de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 en supprimant la solidarité des associés.
Les créanciers de la société ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu'après avoir vainement mis en demeure la société.
Les associés sont poursuivis après l'envoi à chacun d'un AMR pour le montant qui correspond à leur part du capital et dans les conditions édictées par les textes susvisés.
Remarque : Les fonds détenus par ces sociétés, pour le compte de leurs clients et déposés sur un compte spécialement affecté à cette destination, ne sont pas saisissables.
2. Les sociétés civiles de placement immobilier ou sociétés d'épargne forestière et sociétés civiles de construction-vente
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Les sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) ou les sociétés d'épargne forestière sont régies par l'article L. 214-86 et suivants du code monétaire et financier (CoMoFi). L'article L. 214-89 du CoMoFi précise que la responsabilité des associés ne peut être mise en cause que si la société civile a été préalablement et vainement poursuivie et que la responsabilité de chaque associé à l'égard des tiers est engagée en fonction de sa part dans le capital et dans la limite de deux fois le montant de cette part.
Les statuts de la société civile ou de la société d'épargne forestière peuvent prévoir que la responsabilité de chaque associé est limitée au montant de sa part dans le capital de la société.
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Les sociétés civiles constituées en vue de la construction et la vente d'immeubles, sont visées par l'article L. 211-2 du CCH, qui précise que les associés sont tenus du passif social sur tous leurs biens, à proportion de leurs droits sociaux. Les créanciers de la société ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales qu'après mise en demeure à la société restée infructueuse. À cet effet, le représentant légal de la société est tenu de communiquer à tout créancier social qui en fera la demande, le nom et le domicile, réel ou élu, de chacun des associés.
II. La nature de l’obligation des associés
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En droit commun, l’obligation des associés au passif social est tout à la fois indéfinie, proportionnelle et conjointe, et enfin subsidiaire. Cette responsabilité s'apprécie à la date d'exigibilité de la dette ou au jour de la cessation des paiements. Conjointe, elle se calcule en divisant la dette. Ainsi, dans une société composée de cinq associés, la personne détenant le tiers du capital social est responsable du paiement de la dette à hauteur du tiers.
A. Obligation indéfinie
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Le premier alinéa de l’article 1857 du C. civ. prévoit expressément que les associés répondent indéfiniment, à l’égard des tiers, des dettes de la société. Cela signifie que leur responsabilité n’est pas circonscrite à leur apport mais qu’ils répondent des dettes sur l’ensemble de leur patrimoine.
Cette disposition est impérative. Elle interdit toute limitation de la responsabilité par une clause des statuts mais, en revanche, une restriction de cette responsabilité peut être valablement incluse dans un contrat entre le créancier et l’associé débiteur, à la condition de faire l’objet d’une mention expresse (Cass. com, décision du 21 novembre 1978, n° 76-12082).
B. Obligation proportionnelle et conjointe
1. Associés tenus proportionnellement
a. Sociétés civiles de droit commun
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Il se déduit de l'article 1857 du C. civ. et de l’absence de présomption de solidarité (C. civ., art. 1310) que l’obligation des associés est de nature conjointe. L’obligation au passif social se divise donc entre les associés proportionnellement aux parts que chacun d’eux possède dans le capital social.
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Ainsi, les deux associés d’une SCI au capital de 8 000 € réparti également entre eux peuvent être poursuivis pour la totalité d’une dette de 200 000 € à concurrence de 100 000 € chacun. En outre, l’article 1857 du C. civ. précise que l'obligation au paiement des associés se partage selon leur part dans le capital social à la date de l’exigibilité ou de la cessation des paiements.
En cas d'apport en industrie, l’article 1857 du C. civ. dispose que l’associé qui n’a apporté que son industrie est tenu comme celui dont la participation dans le capital est la plus faible. Il doit en être tenu compte lors du calcul de la contribution de chacun des associés.
À titre d’exemple, dans le cas d’une SCI (100 parts) comprenant trois associés, dont le premier est apporteur en industrie, le deuxième détient 75 parts et le troisième 25 parts, l’apporteur en industrie sera tenu au paiement des dettes sociales à hauteur de 25 parts.
Ainsi pour une dette sociale de 20 000 €, la participation de chacun des associés est la suivante :
- associé détenant 75 parts : (20 000 € / 125) x 75 soit 12 000 €
- associé détenant 25 parts : (20 000 € / 125) x 25 soit 4 000 €
- associé apporteur en industrie : (20 000 € / 125) x 25 soit 4 000 €.
b. Sociétés civiles régies par une législation particulière
1° SCI de construction-vente
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L’article L. 211-2 du CCH prévoit que les associés sont tenus responsables à proportion de leurs droits sociaux. Cette formulation doit être comprise dans le sens de parts dans le capital social, identique aux termes de l’article 1857 du C. civ.. Elle ne modifie pas la nature conjointe de l’obligation des associés de ces SCI.
2° Sociétés d’attribution d’immeubles en jouissance à temps partagé
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La règle de la proportionnalité (répartition de la dette en fonction du nombre de parts détenues) est également applicable à ces sociétés mais la responsabilité des associés est limitée au montant des apports (loi n° 86-18 du 6 janvier 1986, art. 4).
2. Date d'exigibilité de la dette
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Les associés sont responsables à la date d’exigibilité de la dette de la société ou au jour de la cessation des paiements de cette société.
1° Sociétés civiles de droit commun
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La référence à l’exigibilité de la dette sociale s’oppose à la poursuite de l’associé pour le recouvrement de dettes devenues exigibles postérieurement à la cession de ses parts qui n’est, cependant, opposable aux tiers qu’après l’accomplissement des formalités et de la publication requises par l’article 1865 du C. civ.. L’associé cédant échappe ainsi aux dettes nées antérieurement à la cession mais non encore exigibles au jour de cet événement.
Quant au cessionnaire, il est responsable des dettes devenues exigibles après la publication de la cession (Cass. civ., décision du 26 novembre 1991, n° 88-20094).
En matière fiscale, l’exigibilité ne doit pas être appréciée au regard de la date de la mise en recouvrement mais au regard de la date réelle d’exigibilité de chaque impôt ou taxe.
2° SCI de construction-vente
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L’article L. 211-2 du code de la construction et de l’habitation ne comporte pas de référence à la date de l’exigibilité. Par conséquent, dans une société de construction-vente, l’associé cédant est tenu du passif né de l’inexécution des engagements pris par la société à l’époque où il était encore associé (Cass. civ., décision du 14 novembre 1991, n° 89-15507).
Ce principe conduit à retenir la date du fait générateur de l’impôt ou de la taxe pour fixer la responsabilité des associés en cas de cession de parts dans les SCI de construction-vente.
La Cour de cassation a retenu dans un arrêt : « … qu’ayant énoncé que les associés d’une société civile de construction-vente d’immeubles restaient tenus du passif social né de l’exécution des engagements pris par la société à l’époque où ils étaient encore associés même si ce passif n’était pas exigible au moment de la cession de leurs parts, la cour d’appel n’a pas violé les textes visés par la cinquième branche en statuant comme elle a fait… » (Cass. com. décision du 28 septembre 2004, n° 02-15755).
C. Obligation subsidiaire
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Conformément à l’article 1310 du C. civ. et à défaut de stipulation expresse, les associés ne sont pas des débiteurs solidaires du passif social. Le caractère subsidiaire de la dette de l’associé est posé par l’article 1858 du C. civ. qui subordonne les poursuites à son encontre à la vaine poursuite préalable de la personne morale.
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Il convient de distinguer :
- l’obligation aux dettes sociales qui pèse sur tout associé de société civile naît en même temps que la dette de la société envers le créancier social. Ce dernier est créancier de chacun des associés dès le moment où il devient créancier de la personne morale car la dette de l’associé est à ranger parmi les obligations de garantie, obligations accessoires qui ont cette particularité de naître au même moment que la créance principale garantie.
- l’obligation au paiement qui prend naissance successivement dans le patrimoine de la société puis, à défaut de règlement par celle-ci, dans le patrimoine de l’associé, présente donc un caractère subsidiaire car les créanciers sociaux ne peuvent mettre en cause un associé qu’après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale.
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Cette exigence de vaine poursuite préalable que le créancier est tenu d’exercer est sans incidence sur la date à laquelle est née la créance. L’associé est tenu des dettes sociales dès leur naissance mais les poursuites à son égard se trouvent paralysées tant que le créancier social n’a pas démontré l’inanité des poursuites qu’il a exercées contre la société civile.
Cette subsidiarité de l’obligation au paiement du passif social ne doit pas faire perdre de vue l’existence de la créance. Autrement dit, la créance contre l’associé existe, mais elle n’est pas encore exigible. Elle le deviendra une fois que la société aura été vainement poursuivie.
Cette notion de vaine poursuite s’apprécie différemment en fonction de la nature de la SCI (III-B § 240 et suivants).
III. La mise en œuvre de la responsabilité des associés
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Les associés ne peuvent être recherchés en paiement qu'après que la société ait été vainement poursuivie. Les mises en demeure adressées respectivement à chacun des associés à défaut de paiement sont précédées par un AMR établi au nom de chacun des associés pour sa part dans la dette.
A. Preuve de l’existence d’un passif social
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Bien qu’indépendante de l’obligation au paiement pesant sur la société, débiteur principal, l’obligation des associés est bien entendu conditionnée par l’existence d’un passif né dans le patrimoine de la personne morale.
Dès lors, l’inexistence ou l’extinction de la dette sociale entraîne logiquement la libération des associés (Cass. civ., décision du 20 février 1996, n° 93-14071),
Ainsi, les associés de sociétés civiles ne sont tenus à l’égard des tiers que du passif social et, à défaut de déclaration de la créance dans le délai de deux mois à compter de la publication du jugement de liquidation judiciaire, le créancier est forclos pour en réclamer le paiement, ce qui fait disparaître l’obligation des associés (Cass. com., décision du 28 juin 2005, n° 03-11915).
B. Poursuite préalable de la société
1. Sociétés civiles de droit commun
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L’article 1858 du C. civ. précité énonce : « Les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu’après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale. »
Préalablement à la mise en cause des associés, le créancier doit apporter la preuve de l’inanité des poursuites exercées à l’encontre de la société, c’est-à-dire établir la preuve de l’impossibilité d’obtenir un paiement de sa part.
Il est précisé qu'en cas de cautionnement, ledit article ne subordonne pas la poursuite des associés par le créancier à la preuve de poursuites préalables et vaines contre la caution de la société débitrice (Cass. civ. décision du 5 février 2002, n° 00-10263).
La jurisprudence apprécie la preuve de la vanité des poursuites d’une manière plus rigoureuse dans le cas d’une société in bonis que dans celui d’une société en procédure collective ou dissoute.
a. Sociétés in bonis
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De la jurisprudence de la Cour de cassation consacrée aux motifs propres à caractériser les vaines poursuites, il ressort que ne constituent pas de vaines poursuites :
- une mise en demeure restée infructueuse (Cass. civ., décision du 3 juillet 1996, n° 94-11215, à rapprocher d’une décision sur le commandement de payer indépendamment de toute mesure d’exécution, Cass. 3ème civ., décision du 23 avril 1992, n° 90-17529) ;
- la disparition de la société, ce qui n’exclut pas la nécessité d’établir la preuve des vaines poursuites (Cass. 3ème civ., décision du 8 octobre 1997 n° 95-11870) ;
- un commandement de saisie-vente suivi d’un procès verbal de carence, ce qui n’est pas une mesure d’exécution propre à démontrer l’insuffisance patrimoniale de la SCI (Cass. 3ème civ., décision du 6 janvier 1999, n° 97-10645)
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Cette dernière précision marque l’appréciation stricte de la notion de vaines poursuites, lesquelles supposent que la société ne possède pas de biens susceptibles d’être saisis et vendus pour assurer le paiement de la créance. La présence d’une société immobilière laisse présager l’existence de biens immobiliers que le créancier doit tenter vainement d’appréhender avant de pouvoir demander paiement aux associés.
En ce sens la clôture d’une saisie-vente par un procès-verbal ou l’échec d’une saisie-attribution peut caractériser la vaine poursuite lorsqu’il est établi que la société ne dispose plus d’aucun actif et que la vente par adjudication de l’immeuble social n’a permis qu’un désintéressement partiel d’un créancier hypothécaire.
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En revanche, un jugement de condamnation obtenu par une banque créancière ainsi que la production d’une correspondance d’un notaire faisant apparaître l’existence d’une inscription hypothécaire de premier rang par un autre créancier sont impropres à établir que les poursuites diligentées préalablement contre la SCI étaient, du fait de l’insuffisance du patrimoine social, privées de toute efficacité (Cass. com., décision du 20 novembre 2001, n° 99-13894).
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Bien entendu, toute mesure permettant d’établir l’insolvabilité du débiteur et, par conséquent, l’inefficacité de toutes voies d’exécution contre lui est propre à définir le caractère vain des poursuites entreprises ou à entreprendre.
b. Sociétés dissoutes
1° Poursuites engagées avant dissolution
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Il a été jugé que :
- la discussion menée par des associés sur les effets de la dissolution d'une SCI est sans incidence sur l’action introduite par un créancier à leur encontre, dès lors que les procédures de saisie engagées par lui auprès de la société n’ont pas permis, malgré la réalisation de la totalité des actifs de la SCI, de recouvrer la totalité de la créance (Cass. civ., décision du 5 février 2002, n° 00-10263).
- en revanche, n’établit pas que toutes poursuites contre une SCI auraient été, du fait de l’insuffisance du patrimoine social, privées d’efficacité, l’arrêt qui retient que « la Caisse (méditerranéenne de financement) ayant normalement diligenté une procédure de saisie immobilière sur l’immeuble qui lui avait été donné en garantie lors de la conclusion du contrat de prêt et n’ayant eu connaissance de l’insuffisance du prix d’adjudication qu’à une date très proche de celle de la dissolution de la SCI, l’exercice de toutes autres nouvelles poursuites était vain, le patrimoine de la SCI ayant été entièrement réalisé par suite de préemption de l’autre bien immobilier » (Cass. civ 3ème, décision du 6 juillet 2005, n° 04-12175).
Cet arrêt confirme le caractère strict de la notion de vaines poursuites, puisque la cour d’appel ne pouvait se contenter de constater l’insuffisance du patrimoine social sans établir que toutes autres poursuites auraient été inefficaces.
2° Après dissolution de la société
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Après la dissolution de la société, le créancier agit directement contre les associés.
Dans ce contexte :
- un créancier est recevable à agir en paiement d’une dette de la société directement contre l’un des associés après constat de la décision de dissolution de la société par ses associés et de sa liquidation par acte de partage par lequel il a été attribué à chacun d’eux la moitié indivise en pleine propriété du terrain constituant le seul actif de la société (Cass. civ., décision du 31 mars 2004, n° 01-16971).
- une fois constatées la dissolution de la société pour cessation d’activité et la disparition du fonds ainsi que sa radiation du registre du commerce et des sociétés, il ne saurait être fait grief à un créancier d’avoir introduit une action en paiement contre ses associés dès lors que la société n’avait plus d’existence (Cass. civ., décision du 18 juin 2003, n° 01-16504).
La dissolution de la société doit être effectivement constatée (faisceau d’éléments).
c. Sociétés en procédure collective
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Les créanciers d'une société civile ne peuvent agir contre les associés que s’ils ont déclaré leur créance au passif de la procédure ouverte à l’encontre de la société en temps utile (ou bénéficié d’un relevé de forclusion) et ont été admis au passif.
En effet les associés ne sont tenus que du passif social et le créancier doit veiller à ne pas laisser s’éteindre sa créance sur la société, en particulier en omettant de la déclarer dans les délais (Cass civ 3ème, décision du 10 juillet 1996, n° 94-10552).
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L’inefficacité des poursuites contre la société doit être constatée préalablement à l’engagement des poursuites contre les associés et non durant le cours des procédures engagées à leur encontre. La vanité des poursuites contre la société ne peut être démontrée par la clôture pour insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire intervenue postérieurement à la poursuite des associés (Cass. com., décision du 27 septembre 2005, n° 03-20390).
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Il faut toutefois distinguer selon que :
- le créancier de la société a exercé avant l’ouverture de la procédure collective de véritables mesures d’exécution établissant l’insuffisance du patrimoine de la société.
À cet égard ne sont pas de vaines poursuites :
- un commandement de saisie-vente suivi d’un procès verbal de carence (Cass civ., décision du 6 janvier 1999, n° 97-10645) ;
- une procédure de saisie immobilière pratiquée sur les biens d’une SCI, avant l’ouverture de la procédure collective, qui n’est pas terminée, de sorte qu’il n’est pas possible de connaître si la vente de ces biens aurait permis de désintéresser totalement le créancier (Cass. com., décision du 11 juin 2003, n° 99-17271) ;
- le créancier n’a pas caractérisé les vaines poursuites avant le jugement d’ouverture de redressement judiciaire.
L’ouverture d’une procédure collective ne constitue pas une vaine poursuite, même si cela sous-entend la cessation des paiements. Il ne s’agit pas d’une circonstance de nature à démontrer là encore que le patrimoine social ne permet pas de désintéresser le créancier. Elle constitue un élément qui demande à être étayé par d'autres.
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Bien entendu, la vaine poursuite ne peut être démontrée lorsqu’il existe un plan de continuation respecté par la société ou un plan de cession de nature à désintéresser les créanciers.
Ainsi, l’associé d’une société civile peut aussi se prévaloir des dispositions du plan de continuation de la société qui en respecte les dispositions. Débiteur subsidiaire du passif social envers les tiers, il peut, par application de l’article L. 626-11 du Code de commerce, se prévaloir du jugement qui l’arrête et en rend les dispositions opposables à tous (Cass. com., décision du 23 janvier 2001, n° 98-10668).
Par ailleurs, une décision de la cour d’appel avait retenu, pour condamner un associé de deux SCI auxquelles avait été étendu le redressement judiciaire d’une SARL, que la créancière avait rappelé au mandataire judiciaire des deux SCI débitrices le non-respect de leurs engagements, leur avait réclamé les remboursements attendus et indiqué les voies de recours, puis avait demandé au représentant des créanciers dans quels délais elle pouvait espérer un règlement et que, n’ayant jamais obtenu de réponse, elle justifiait avoir vainement poursuivi les deux personnes morales. Cette décision a été cassée par la Cour suprême pour défaut de réponse aux conclusions de l’associé qui avait fait valoir que la SARL n’avait pas fait l’objet d’une liquidation mais d’un plan de cession homologué englobant les actifs immobiliers des deux sociétés et de nature à désintéresser les créanciers (Cass. Civ. 1ère, décision du 30 mars 2005, n° 03-10872).
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- En cas de procédure de liquidation judiciaire :
La vanité des poursuites est avérée dès lors que la SCI est en liquidation judiciaire et que la créance a été déclarée. Elle n'est donc plus à démontrer (revirement jurisprudentiel de la chambre mixte de la Cour de cassation par arrêt du 18 mai 2007 ; Cass.com., décision du 16 juin 2009 n° 07-14.913).
La déclaration de créances peut toutefois être postérieure à la mise en cause de l'associé.
2. SCI de construction-vente
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Il résulte de l’article L. 211-2 du CCH que les associés de sociétés de construction-vente sont également tenus au passif social de manière subsidiaire mais l’exigence de la vaine poursuite préalable est limitée à l’envoi, à la société, d’une mise en demeure de payer restée infructueuse.
Ainsi, les créanciers ne peuvent poursuivre les associés des sociétés de construction-vente qu’après mise en demeure de payer restée infructueuse préalablement adressée à la personne morale.
Lorsque la société est en liquidation judiciaire, les créanciers ne sont pas tenus de lui adresser une mise en demeure avant l’engagement des poursuites à l’égard des associés (Cass. civ., décision du 8 avril 1987, n° 85-17838).
De même, dès lors que le créancier a déclaré l’intégralité de sa créance au passif, l’action en paiement contre l’associé n’est subordonnée ni à la mise en demeure préalable de la société en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire, ni à la preuve de l’admission de la créance au passif (Cass. com., décision du 20 février 1996, n° 93-14071).
C. Modalités pratiques de la mise en cause des associés
390
L'article R*. 256-2 du LPF prévoit que lorsqu'un comptable public poursuit le recouvrement d'une créance à l'égard de débiteurs tenus conjointement ou solidairement au paiement de celle-ci, il notifie préalablement à chacun d'eux un AMR. Cette règle s'applique aux associés de sociétés civiles.
La mise en cause de ces associés est réalisée par l’envoi de la mise en demeure de payer établi dans les mêmes conditions .
400
L’obligation de l’associé est limitée à la proportion de la dette fiscale correspondant à celle de ses droits sociaux.
La mise en demeure de payer doit indiquer le texte applicable autorisant la poursuite des associés selon la nature de la SCI. Elle doit faire précisément mention du nombre de parts détenues par l’associé poursuivi et la somme réclamée doit correspondre à cette quote-part.
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Tableau récapitulatif de mise en cause des associés de sociétés civiles
Nature de la société |
Textes applicables
|
Nature de la responsabilité des associés | Mise en cause de la responsabilité | |
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Titre exécutoire |
Poursuite
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/ | / | / |
Société civile de droit commun |
Indéfinie, proportionnelle, conjointe, subsidiaire |
AMR adressé à l'associé à l'ouverture du droit de poursuite portant référence à l'AMR notifié à la société.
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Preuve de vaines poursuites contre la société : En cas de liquidation judiciaire (LJ) : la déclaration de créances |
|
SCI constituées en vue de la vente |
Indéfinie, proportionnelle, conjointe, subsidiaire |
AMR adressé à l'associé à l'ouverture du droit de poursuite portant référence à l'AMR notifié à la société
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Simple mise en demeure infructueuse notifiée à la société. En cas de RJ ou de LJ : poursuites des associés après déclaration de créances. |
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SCI d'attribution en jouissance à temps partagé | loi n° 86-18 du 6 janvier 1986, art. 4 |
Limitée à concurrence des apports, proportionnelle, conjointe, subsidiaire |
AMR adressé à l'associé à l'ouverture du droit de poursuite portant référence à l'AMR notifié à la société.
|
Preuve de vaines poursuites contre la société. En cas de RJ ou de LJ: vaines poursuites caractérisées avant le jugement sinon après déclaration de créances |
D. Le traitement du contentieux en cas de contestation par l’associé
1. La contestation portant sur l'obligation de payer de l'associé
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La contestation qui porte sur la qualité d’associé a trait à l’obligation de payer. Elle relève, pour les créances fiscales et selon les dispositions de l’article L. 281 du LPF, de la compétence du juge de l’impôt. Cependant, le juge administratif, lorsqu’il est compétent, peut considérer que le litige relatif à la qualité d’associé constitue une question préjudicielle dans la mesure où il a à connaître d’une obligation de droit privé et en renvoyer l’examen devant le juge judiciaire.
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La contestation selon laquelle le comptable ne peut poursuivre un associé en paiement des dettes sociales de la personne morale, dès lors que les vaines poursuites contre la société n’ont pas été démontrées, est de la compétence du juge de l’impôt.
Ainsi l’appréciation de l’existence de poursuites infructueuses engagées contre la société civile débitrice, qui conditionne le droit du créancier de poursuivre le paiement des dettes de la société auprès de ces associés en vertu de l’article 1858 du C. civ., relève également de la compétence du juge administratif en application de l’article L. 281 du LPF (Conseil d'État, décision du 25 avril 2003 n° 211883).
La Cour de cassation a également tranché que le juge de l’exécution n’était pas compétent pour apprécier les mérites du moyen soutenant que la mise en demeure adressée à un associé devait être annulée au motif du défaut de poursuites préalables et vaines de la SCI, la contestation, relative à l’exigibilité de l’impôt, relevant de la compétence du juge de l’impôt (Cass. com., décision du 25 janvier 2005, n° 02-21098).
2. La prescription de l’action à l’égard des associés
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L'article 1859 du C. civ. énonce le principe selon lequel toutes les actions contre les associés non liquidateurs se prescrivent par cinq ans à compter de la publication de la dissolution de la société.
À cet égard, la société prend fin notamment par l'effet d'un jugement ordonnant la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif (C. civ. art. 1844-7).
Dès lors, la publication du jugement de clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif de la société au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC) constitue le point de départ de la prescription de l'action visée par l'article 1859 du C. civ..
Ainsi, dès lors que la prescription de cinq ans prévue par l'article 1859 du C. civ. est acquise, il n'est plus possible de mettre en cause les associés.
Bien entendu, les associés ne peuvent être mis en cause que si l'action en recouvrement n'est pas prescrite à l'encontre de la SCI (LPF, art. L. 274, prescription de l'action en recouvrement ; BOI-REC-EVTS-30-20).