CF - Infractions et sanctions pénales - Le délit d'escroquerie de nature fiscale
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Le système des paiements fractionnés de la taxe à la production a introduit la notion de crédit d'impôt en matière de taxes sur le chiffre d'affaires. Parallèlement, le législateur avait été conduit à prévoir le remboursement du crédit de taxe afférent aux affaires exonérées faites à l'exportation ; ce remboursement pouvait d'ailleurs être remplacé, selon une pratique administrative, par un transfert au profit d'un tiers assujetti ayant de plus larges possibilités d'imputation.
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Or, il s'est avéré que, dans certains cas, le crédit d'impôt remboursé ou transféré était fictif parce qu'il ne correspondait pas à des opérations commerciales réelles. Ce nouveau genre de fraude échappait à toute sanction pénale : en effet, l'assujetti au paiement de la TVA ne s'était pas soustrait à l'établissement ou au paiement de l'impôt bien au contraire, renversant les rôles, il avait fait payer l'impôt par l'État.
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Bien que les remboursements injustifiés de TVA tombent désormais sous le coup des sanctions pénales édictées par l'article 1741 du code général des impôts (CGI) sans préjudice, le cas échéant, de l'application de l'article 313-1 du Code pénal, le délit d'escroquerie peut être réalisé en matière fiscale dans des domaines autres que celui de la TVA : ainsi par exemple de l'aide fiscale à l'investissement, de la revendication abusive en matière de crédit d'impôt recherche, du versement frauduleux de la prime pour l'emploi.
I. Le délit d'escroquerie en droit pénal
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L'article 313-1 du Code pénal dispose : « L'escroquerie est le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge.
L'escroquerie est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 € d'amende ».
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L'escroquerie se caractérise par le fait de tromper une personne physique ou morale, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manœuvres frauduleuses afin d'obtenir à son préjudice ou à celui d'un tiers, la remise d'un bien, la fourniture d'un service ou l'accomplissement d'un acte particulier.
A. Notion de victime
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Constatant que l'article 405 du Code pénal prévoyait et réprimait les escroqueries commises au préjudice d'autrui, la Cour de cassation a estimé que cette formule très générale s'applique aussi bien aux escroqueries commises au préjudice des particuliers qu'à celles commises au préjudice de l'État (Cass. crim, arrêt du 6 février 1969, n° 66-91594).
Cette jurisprudence est transposable sous l'empire de l'article 313-1 du Code pénal.
B. Notion de manœuvres frauduleuses
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Tout comme l'ancien article 405 du code pénal, l'article 313-1 du Code pénal fait référence à la notion de manœuvres frauduleuses qui constitue le principal élément constitutif du délit d'escroquerie.
Dès lors, la jurisprudence intervenue sous l'empire du texte ancien conserve toute sa valeur.
Les manœuvres frauduleuses constituent l'un des éléments essentiels du délit d'escroquerie (Cass. crim., 20 juin 1983, n° 82-92593), à la différence du délit de fraude fiscale pour lequel l'article 1741 du CGI n'exige que l'intention de fraude.
Toutefois, bien que cette expression figure à l'article 313-1 du Code pénal et à l'article 1729 du CGI qui prévoit la majoration de droits de 80 %, ni le droit pénal ni le droit fiscal n'en donnent une définition.
Aussi peut-on dire tout au plus qu'en l'état de la jurisprudence, les manœuvres frauduleuses supposent une machination, une ruse ou une combinaison d'actes extérieurs destinés à créer une apparence trompeuse d'où l'exclusion du simple mensonge, même réalisé par écrit.
À l'allégation mensongère doit se joindre, pour constituer la manœuvre frauduleuse, un fait extérieur, un acte matériel destiné à lui donner force et crédit.
De sorte qu'en définitive la manœuvre frauduleuse sera constituée par tout stratagème destiné à tromper les tiers.
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Il en sera notamment ainsi :
- de l'abus d'une qualité vraie qui, donnant une apparence de sincérité à des allégations mensongères, suscite la confiance de la victime ;
- de la production de documents écrits, vrais ou faux, venant au soutien du mensonge pour le confirmer, remarque étant faite que la qualification de faux (art. 441-1 du Code pénal) pourra également être retenue et poursuivie distinctement dès lors que l'on se trouvera en présence de deux infractions distinctes en concours réel ;
- d'une mise en scène donnant l'apparence de la sincérité aux allégations mensongères ;
- de l'intervention d'un tiers, vrai ou imaginaire, de bonne ou de mauvaise foi, étant observé que le tiers de mauvaise foi devient complice au sens de l'article 60 du code pénal.
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Les manœuvres frauduleuses doivent être déterminantes de la remise d'un bien, de la fourniture d'un service ou du consentement à un acte opérant obligations ou décharge de sorte que l'on doit pouvoir établir une relation de cause à effet entre les premières et les secondes et, par suite, l'antériorité des manœuvres par rapport à la remise, la fourniture du service ou le consentement.
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Si l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, dès lors qu'il a permis la remise d'une chose appartenant à autrui, suffit à constituer le délit d'escroquerie, il n'en est pas de même de l'emploi des manœuvres frauduleuses. Celles-ci doivent avoir, en outre, pour objet, notamment, de « persuader l'existence de fausses entreprises », c'est-à-dire d'entreprises qui n'existent pas ou qui, partiellement vraies, présentent dans d'autres parties des circonstances entièrement fausses. Tel est le cas d'une société de façade dont l'existence juridique ne peut être contestée mais qui se prévaut faussement de la qualité d'exportateur.
L'objet des manœuvres peut aussi être de « persuader l'existence d'un crédit imaginaire », c'est-à-dire de faire croire à la victime, afin de capter sa confiance, que l'on dispose d'une fortune et d'une solvabilité que l'on n'a pas.
Par extension, c'est également vouloir faire croire à l'administration fiscale que l'on dispose d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée ou d'un droit à remboursement qui n'a pas d'existence légale.
II. Caractéristiques de l'escroquerie fiscale
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On constate parfois que les assujettis au paiement de la TVA reportent sur leurs déclarations un montant de TVA déductible supérieur à celui qui résulte de la totalisation de leurs droits à déduction régulièrement comptabilisés.
Mais, même si l'erreur a été commise sciemment, il ne s'agit au cas particulier que d'une déclaration inexacte comportant une simple allégation mensongère, à elle seule insuffisante pour permettre la qualification d'escroquerie.
Le contribuable qui aura agi de la sorte pourra être poursuivi comme fraudeur, mais non pas comme escroc.
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Pour passer du stade de la fraude fiscale à celui de l'escroquerie, il est indispensable de pouvoir faire état de manœuvres frauduleuses qui, constituées par des actes extérieurs aux déclarations elles-mêmes, sont de nature à donner force et crédit aux allégations mensongères énoncées par ces déclarations en vue de tromper l'Administration.
Parmi ces actes extérieurs, on trouve le plus fréquemment :
- la falsification de factures d'achats réels ;
- l'établissement de factures d'achats fictifs (Cas notamment d'un industriel qui, ayant procédé à des achats réels de fonte de récupération en exonération de TVA, avait remplacé les factures des fournisseurs réels par celles d'importantes entreprises devenues à leur insu fournisseurs fictifs de fonte neuve pour un montant identique mais incorporant la TVA) ;
- la constitution de fausses entreprises connues sous la dénomination de « taxis » chargées de créer la taxe sur leurs factures de complaisance en vue d'en permettre la récupération par le client, tout en s'abstenant de la reverser au Trésor public ;
- la réalisation d'achats sans facture et leur couverture par des factures sans achats délivrées par une organisation de fraude (factures de complaisance) ;
- la mise en scène de circuits de facturations fictives avec « taxis », entreprises relais, détaxeurs, fausses attestations de la qualité de négociant ou de commissionnaire exportateur, jeux de factures en « aller-retour » ( Aller-retour : simulacre de vente avec TVA suivi de rachat sans TVA effectué par une même personne agissant sous le couvert de deux entreprises de façade) ou en « tourniquet » ( Tourniquet : système aller-retour complété par une ou plusieurs facturations permettant de revenir au point de départ et, ainsi, de tourner en rond) ;
- la simulation des paiements (chèques bancaires barrés remis à l'encaissement par les « taxis » qui procèdent simultanément à un retrait de fonds équivalent ; lettres de change acceptées sans indication de date, de tireur et de bénéficiaire).
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Ayant persuadé l'administration de l'existence à son profit de crédits de taxe imaginaires, l'escroc obtient la remise de fonds de deux manières différentes :
- par remboursement direct au vu d'une demande de restitution ;
- par imputation sur le montant de la TVA due à raison de la réalisation d'affaires imposables.
Sur ce point en l'absence de remise matérielle des fonds comme en l'absence de délivrance effective d'une quittance ou d'une décharge, la Cour de cassation a adapté sa jurisprudence aux formes les plus modernes de la fraude et a posé quelques principes qui paraissent bien établis :
- la déclaration de chiffre d'affaires vaut titre de créance à l'encontre du Trésor public pour le montant des taxes déclarées comme déductibles ;
- la circonstance que le titre qui constate l'extinction par déduction de la créance du Trésor public ait été créé par l'assujetti ne fait disparaître aucun des éléments matériels du délit d'escroquerie ;
- il en est de même en l'absence de remise de fonds dès lors que le paiement effectué par voie scripturale vaut remise d'espèce ;
- le délit d'escroquerie se trouve alors consommé par l'acceptation par l'administration de la déclaration de chiffre d'affaires. (Cass. crim., arrêts des 25 janvier 1967, n° 66-92968 ; 17 octobre 1967, n° 66-92187 ; 6 février 1969, n° 66-91594 ; 10 décembre 1969, n° 67-91046 ; 13 octobre 1971, n° 70-92124 ; 19 décembre 1973, n° 73-90224).
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Il est précisé que, de même qu'en matière de fraude fiscale, le délit d'escroquerie peut être commis non seulement par le dirigeant de droit d'une société, mais aussi par le dirigeant de fait (Cass. crim., 21 décembre 1971, n° 70-92142).
III. Tentative d'escroquerie
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L'article 313-3 du Code pénal réprime la tentative d'escroquerie au même titre que le délit lui-même. Mais les tentatives de délit ne sont punissables qu'autant qu'elles remplissent les conditions énoncées par l'article 121-5 du Code pénal, à savoir être manifestées par un commencement d'exécution et n'avoir été suspendues ou manqué leur effet qu'en raison de circonstances indépendantes de la volonté de leur auteur.
A. Existence d'un commencement d'exécution
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Les manœuvres frauduleuses énumérées ci-dessus constituent de simples actes préparatoires. Elles sont donc insuffisantes pour caractériser un commencement d'exécution du délit et doivent dès lors être suivies d'un acte tendant à obtenir la remise des fonds.
Il en résulte que la tentative peut résulter de la souscription d'une demande de remboursement de crédit de TVA, mais ne peut être située en cas d'imputation, où elle se confond avec l'escroquerie même.
B. Absence de désistement volontaire
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Bien qu'entrée dans la phase active du commencement d'exécution, la tentative ne serait pas légalement établie si elle se trouvait suspendue par une renonciation volontaire de l'auteur à consommer le délit. Mais elle est caractérisée si ce sont des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur qui ne lui permettent pas d'aboutir : demande de remboursement de crédit de TVA rejetée à la suite d'un contrôle ayant révélé la fraude, par exemple.
IV. IV .Répression du délit
A. Action publique
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Seul, le Ministère public a qualité pour exercer l'action publique relative au délit d'escroquerie. Il est à noter cependant que la mise en œuvre des poursuites n'est pas subordonnée au dépôt d'une plainte, comme c'est le cas pour le délit de fraude fiscale.
Mais, dans la pratique, l'administration porte plainte afin de fournir au Parquet les éléments d'information qu'elle a pu recueillir, sur l'escroquerie fiscale, ainsi que les documents en sa possession.
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Il importe alors de ne pas perdre de vue que la prescription de l'action publique est conformément aux dispositions de l'article 8 du Code de procédure pénale, de trois années révolues, soit un délai moins long que celui prévu par l'article L230 du livre des procédures fiscales (LPF).
Le point de départ du délai de trois ans se situe à la date de la consommation du délit, c'est-à-dire :
- à la date du remboursement (date d'ordonnancement) ;
- au jour du dépôt de la déclaration de taxes sur le chiffre d'affaires si le remboursement a lieu par imputation ;
- et, dans l'hypothèse de la simple tentative, à la réception de la demande de remboursement.
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Enfin, s'agissant d'une action fondée sur l'article 313-1 du Code pénal, il n'y a pas lieu de recueillir l'avis de la Commission des infractions fiscales avant d'engager la procédure judiciaire, même si l'escroquerie a eu pour but ou pour effet d'obtenir le paiement indû de la TVA (Cass. crim., 19 octobre 1987, n° 85-94605).
B. Action civile
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L'action en réparation du préjudice subi par l'État du chef du délit d'escroquerie se fonde sur les dispositions des articles 2, 3, 85 et 418 du Code de procédure pénale qui régissent le droit commun et non pas sur les dispositions de l'article L232 du LPF autorisant l'Administration à se constituer partie civile sur ses propres plaintes pour venir au soutien de l'accusation.
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La cause n'étant pas alors étrangère à l'impôt, mais bien au contraire en relations étroites avec ce dernier, l'agent judiciaire du Trésor public n'a pas à intervenir dans l'instance en s'appuyant sur les dispositions de l'article 38 de la loi du 3 avril 1955 qui fixent sa compétence à représenter l'État en justice (Cass. crim. 19 juin 1978, n° 73-92900).
La constitution de partie civile est dès lors faite au nom de l'État français et des dommages-intérêts peuvent être réclamés au tribunal par voie de conclusions, quelle que soit par ailleurs la situation du recouvrement des rappels de taxe effectués par le service après découverte de l'escroquerie.
Il est en effet de jurisprudence constante que « les juges du fond ne sauraient rejeter les demandes de l'État fondées sur le préjudice causé au Trésor par un délit d'escroquerie au seul motif que les prévenus peuvent se voir réclamer par les voies propres à l'Administration, la réparation du préjudice résultant du délit de soustraction frauduleuse à l'établissement ou au paiement de l'impôt » (Cass. crim., 19 juin 1978 précité).
La reconnaissance de ce droit à indemnisation, sans qu'il soit nécessaire de rechercher si le Trésor peut obtenir réparation du préjudice par la voie administrative, a même conduit les juridictions à condamner au paiement de dommages et intérêts un prévenu qui avait reversé dans les caisses de l'État le montant de l'escroquerie dont il s'était rendu coupable (Cass. crim., 19 décembre 1973, n° 73-90224).
Cela étant, le montant des dommages et intérêts à allouer en réparation du préjudice causé par le délit relève de l'appréciation souveraine des juges du fond, selon les circonstances de chaque espèce et dans les limites des conclusions des parties civiles (Cass. crim., 19 juin 1978 précité et 15 novembre 1989, n° 88-82343).
C. Concours de délits
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Depuis que le CGI sanctionne pénalement les remboursements injustifiés obtenus frauduleusement comme auparavant déjà dans le cas d'imputation, les mêmes faits peuvent tomber sous le coup de deux textes répressifs, l'article 1741 du CGI et l'article 313-1 du Code pénal.
La question peut alors se poser de savoir s'il y a cumul idéal d'infractions (pluralité d'infractions résultant d'un même fait), auquel cas ce fait ne peut entraîner une double déclaration de culpabilité et doit seulement être retenu sous son expression pénale la plus grave ou bien cumul réel (pluralité d'infractions résultant de plusieurs faits délictueux) entraînant le jugement de chaque infraction comme si elle était unique.
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La chambre criminelle de la Cour de cassation s'est orientée vers la différenciation des délits de fraude fiscale et d'escroquerie, ce qui permet de les poursuivre tous deux.
Ainsi, par un arrêt en date du 13 octobre 1971, n° 70-92124, elle a nettement déclaré justifiée la condamnation du dirigeant d'une société du chef de soustraction frauduleuse au paiement de l'impôt et d'escroquerie au préjudice du Trésor public, les juges du fond ayant constaté qu'en organisant un circuit fictif de facturations avec l'aide et l'assistance d'un tiers, le prévenu avait, d'une part, éludé le paiement d'une partie de la TVA due par la société et, d'autre part, obtenu de l'Administration, par l'effet de cette même manœuvre frauduleuse, décharge par imputations scripturales valant remise d'espèces de sommes dont la société était redevable au titre de ladite taxe.
De même, un contribuable peut être poursuivi du chef d'escroquerie pour mise à l'encaissement irrégulier et hors comptabilité de chèques émis au nom d'une entreprise et pour fraude fiscale en raison de dissimulation volontaire de sommes soumises à l'impôt sur le revenu (Cass. crim., 7 décembre 1992).