RESCRIT - TVA - Assujettissement et base d'imposition d'une offre au public de jetons
Question :
L'émission de jetons dans le cadre d’une offre au public de jetons (ex : Initial Coin Offering, « ICO » ou Initial Token Sale « ITS ») est-elle soumise à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ?
Réponse :
S’agissant de l’émission et de l’échange de jeton, conformément aux dispositions du I de l’article 256 du code général des impôts (CGI), sont soumises à la TVA les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel.
Une opération entre dans le champ d’application de la TVA dès lors qu’il existe un lien direct entre le service rendu ou le bien acquis et la contre-valeur reçue.
Afin d'établir l'existence d'un tel lien, il convient de rechercher si, d’une part, une opération procure un avantage individualisé au profit du client et si, d’autre part, le prix perçu en contrepartie est en relation avec l’avantage ainsi obtenu.
Si le lien direct peut notamment être établi dans le cadre de l’échange de prestations, le caractère incertain de l’une des obligations réciproques est de nature à rompre ce lien direct (CJUE, arrêt du 29 octobre 2015, C‑174/14, « Saudaçor », point 32).
Il en va ainsi lorsque, au moment de leur émission, les jetons dits « d’usage » qui peuvent être échangés contre des biens et services, ne donnent à leur acquéreur que le droit de bénéficier potentiellement de la fourniture de prestations de services ou de la livraison de biens notamment si l’activité pour laquelle l’émission a été réalisée est effectivement lancée.
En raison de l'existence d’un aléa sur le principe même des contreparties futures, il n'existe pas de lien direct au sens de la TVA au moment de l’émission et de l’acquisition du jeton avec un quelconque bien ou service. Partant il s’ensuit qu’au moment de la levée des fonds donnant lieu à la remise de jetons dans le cadre de l’offre au public de jetons, les sommes perçues par la société émettrice des jetons n'ont pas à être soumises à la TVA.
La circonstance que les sommes perçues à l’occasion de l’offre au public de jetons ne sont pas soumises à la TVA est sans incidence, le cas échéant, sur la possibilité pour la société émettrice de déduire la TVA ayant grevé ses dépenses d’amont. En effet, si l’existence d’un lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction est, en principe, nécessaire pour qu’un droit à déduction de la TVA acquittée en amont soit reconnu à l’assujetti et pour déterminer l’étendue d’un tel droit (voir, notamment, CJUE, arrêt du 29 octobre 2009 « SKF », C‑29/08, EU:C:2009:665, point 57), un droit à déduction de la TVA est toutefois accordé, même en l’absence d’un tel lien, lorsque les dépenses encourues font partie des frais généraux de cet assujetti et sont, en tant que tels, des éléments constitutifs du prix des biens ou des services qu’il fournit. De telles dépenses entretiennent, en effet, un lien direct et immédiat avec l’ensemble de l’activité économique de l’assujetti (voir, en ce sens, CJUE, arrêt du 8 février 2007 « Investrand », C‑435/05, EU:C:2007:87, point 24, et CJUE, arrêt du 29 octobre 2009 « SKF », C‑29/08, EU:C:2009:665, point 58).
En revanche, si ultérieurement, les jetons sont utilisés par leurs bénéficiaires pour obtenir un bien ou un service individualisé auprès de la société émettrice, cette opération est soumise à la TVA conformément à l’article 256 du CGI dans les conditions de droit commun.
À cet égard, en application du a bis du 1 de l’article 266 du CGI, qui résulte de la transposition de l’article 73 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d’imposition est constituée, pour les livraisons de biens et les prestations de services, par toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par le fournisseur ou le prestataire en contrepartie de ces opérations, de la part de l’acheteur, du preneur ou d’un tiers.
Dès lors, en pareille situation, lorsque la société qui a émis des jetons les a commercialisés auprès d'un acquéreur avec l’engagement de les accepter ultérieurement à leur valeur nominale en paiement de possibles futurs biens ou services, la base d’imposition à la TVA de la prestation de services ou de la livraison de bien effectuée par l'émetteur lors de l'utilisation du jeton par l'acquéreur est égale au montant de la contrepartie obtenue lors de la vente initiale des jetons indépendamment des fluctuations à la hausse ou à la baisse qui auraient pu affecter leur valeur entre la date de leur acquisition et celle de leur utilisation (CJUE, arrêt du 24 octobre 1996, aff. C-288/94, « Argos », point 23).
Toutefois, si, au moment de l’échange effectif du jeton, la contrepartie obtenue par le fournisseur, à savoir le prix initialement payé pour ce jeton,s'avère sans relation avec l’avantage reçu, les opérations devront être considérées comme effectuées gratuitement ou pour une contrepartie symbolique par l'émetteur. Ce dernier devra en tirer, le cas échéant, les conséquences qui s'imposent au regard de la régularisation de la TVA d’amont.
Si l’offre de jetons au public permet l'acquisition de jetons donnant accès à un ensemble de biens ou de services déterminés au moment de l’émission desdits jetons, les règles prévues à l’article 256 ter du CGI en matière de bons sont susceptibles de s’appliquer (BOI-TVA-BASE-20-40 au IX § 270 à 290).
En revanche, si le jeton ne confère à son bénéficiaire qu'un droit à percevoir des dividendes et à prendre des décisions au sein de la société émettrice, il aura la même fonction qu’une action ou une part sociale et sera soumis aux règles du droit des sociétés. En conséquence, aucune TVA ne sera due sur cette opération.
Enfin, il est rappelé que les actifs numériques au sens du 2° de l’article L. 54-10-1 du code monétaire et financier (CoMoFi) contenant des unités de valeur non monétaire acceptés par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et les jetons mentionnés à l’article L. 552-2 du CoMoFi qui remplissent les caractéristiques des instruments financiers mentionnés à l’article L. 211-1 du CoMoFi ne peuvent être qualifiés de bon au sens de l’article 256 ter du CGI.
Les opérations de change de devises traditionnelles contre ces actifs numériques contenant des unités de valeur non monétaire et inversement, ainsi que les opérations de change entre ces actifs numériques sont exonérées de TVA en application du d du 1° de l’article 261 C du CGI (CJUE, arrêt du 22 octobre 2015, affaire C-264/14, « Hedqvist »).
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