ENR - Mutations à titre gratuit – Successions - Champ d'application des droits de mutation par décès– Régimes spéciaux liés à la nature juridique de la disposition successorale – Libéralités graduelles et libéralités résiduelles
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La loi n°2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et libéralités a modifié l'article 896 du code civil qui prohibait les substitutions et prévoyait la nullité de toute disposition par laquelle le donataire, l'héritier institué ou le légataire est chargé de conserver et de rendre à un tiers. En outre, elle consacre la pratique des libéralités résiduelles, reprenant pour ces dernières les solutions jurisprudentielles.
I. Dispositifs civils
A. Les libéralités graduelles
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L'article 1048 du code civil définit la libéralité graduelle comme l'opération par laquelle un disposant donne ou lègue des biens ou des droits, à charge pour le donataire ou le légataire de les conserver et de les transmettre à son décès à un second gratifié désigné dans l'acte.
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En application des dispositions de l'article 1049 du code civil, « la libéralité ainsi consentie ne peut produire son effet que sur des biens ou des droits identifiables à la date de la transmission et subsistant en nature au décès du grevé. Lorsqu'elle porte sur des valeurs mobilières, la libéralité produit également son effet, en cas d'aliénation, sur les valeurs mobilières qui y ont été subrogées. Lorsqu'elle concerne un immeuble, la charge grevant la libéralité est soumise à publicité ».
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Les droits du second gratifié s'ouvrent au décès du grevé qui est propriétaire des biens objet de la libéralité.
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En outre, l'article 1051 du code civil dispose que « le second gratifié est réputé tenir ses droits de l'auteur de la libéralité ».
B. Les libéralités résiduelles
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L'article 1057 du code civil précise que la libéralité résiduelle est une opération par laquelle un disposant prévoit dans une donation ou un testament qu'une personne est appelée à recueillir ce qui subsistera du don ou du legs fait à un premier gratifié, à la mort de celui-ci. Ainsi, comme le précise l'article 1058 du code civil, la libéralité résiduelle n'oblige pas le premier gratifié à conserver les biens reçus, mais uniquement à transmettre les biens subsistants.
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Par ailleurs, il est précisé que les dispositions de l'article 1049 du code civil et de l'article 1051 du code civil s'appliquent aux libéralités résiduelles.
II. Incidences fiscales des libéralités graduelles et des libéralités résiduelles
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L'article 784 C du CGI issu de l'article 54 de la loi de finances rectificative pour 2006 précise le régime fiscal, identique, applicable aux libéralités graduelles et résiduelles. Cet article reprend la doctrine administrative relative au legs « de residuo » (cf. BOI-ENR-DMTG-10-10-10-10 §200), en l'étendant à toutes les libéralités graduelles et résiduelles.
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En conséquence, en présence de libéralités graduelles ou résiduelles telles que prévues aux articles précités du code civil, le légataire ou le donataire institué en premier est redevable des droits de mutation à titre gratuit sur l'actif transmis dans les conditions de droit commun. Le légataire ou donataire institué en second n'est redevable d'aucun droit lors de la première mutation.
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Au décès du premier légataire ou donataire, l'actif transmis est taxé d'après le degré de parenté existant entre le testateur ou le donateur et le second légataire ou donataire. Le régime fiscal applicable et la valeur imposable des biens transmis au second légataire ou donataire sont déterminés en se plaçant à la date du décès du premier gratifié. Les droits acquittés par le premier légataire ou donataire sont imputés sur les droits dus sur les mêmes biens par le second légataire ou donataire. Cette imputation est également admise lorsque les droits dus sur la première transmission ont été pris en charge par le donateur.
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Exemple 1 : Libéralité graduelle
Par donation en date du 1er janvier 2007, M. B (60 ans) transmet à Jean, son fils aîné, un immeuble d'une valeur de 500 000 €.
Il est précisé dans l'acte de donation qu'au décès de ce fils, cet immeuble reviendra à Bernadette, sa fille cadette.
1°) Taxation de la donation consentie par M. B à Jean
Part taxable = 500 000 €
Abattement applicable = 50 000 €
Reste taxable = 450 000 €
Droits dus = 88 300 €
Application de la réduction de droits de 50 %, M. B étant âgé de 60 ans
Reste dû = 44 150 €
2°) Taxation de la transmission à Bernadette réalisée le 1er avril 2011, suite au décès de Jean
Bernadette est réputée recevoir l'immeuble de son père et non de son frère. Cet immeuble ayant pris de la valeur, celui-ci vaut 750 000 €.
Part taxable = 750 000 €
Abattement applicable = 159 325 €
Reste taxable = 590 675 €
Droits dus = 120 164 €
Application de la réduction de droits de 30 %, M. B étant âgé de plus de 70 et moins de 80 ans au moment de la seconde mutation.
Droits dus = 84 115 €
Imputation des droits payés lors de la 1ère transmission à titre gratuit : 84 115 – 44 150 = 39 965 €
En conséquence, Bernadette doit régler 39 965 € de droits.
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Dans le cas d'une libéralité résiduelle, pour déterminer le montant des droits imputables lors la seconde mutation, il y a lieu de liquider à nouveau les droits dus lors de la première libéralité sur une base réduite, en fonction du reliquat existant au jour de la seconde libéralité.
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Exemple 2 : Libéralité résiduelle
Par donation en date du 1er janvier 2007, M. C (65 ans) transmet à son fils Paul en pleine propriété trois appartements (A, B, C) d'une valeur respective de 140 000 €, 220 000 € et 240 000 €.
Il est précisé dans l'acte de donation qu'au décès de Paul, ces biens reviendront à sa sœur Marie.
1°) Taxation de la donation consentie par M. C à Paul.
Part taxable = 600 000 €
Abattement applicable = 50 000 €
Reste taxable = 550 000 €
Droits dus = 111 300 €
Application de la réduction de droits de 50 %, M. C étant âgé de moins de 70 ans.
Reste dû = 55 650 €
2°) 1er avril 2011, taxation de la transmission à Marie suite au décès de Paul.
Sur les 3 appartements donnés le 1er janvier 2007, l'appartement A d'une valeur de 140 000 € a été cédé par Paul en mai 2009.
La valeur vénale des deux autres appartements a augmenté : B = 250 000 € et C = 270 000 €.
Pour déterminer le montant des droits payés lors de la première donation et imputable lors de la seconde transmission, il y a lieu de liquider à nouveau les droits dus initialement sur une base réduite du reliquat transmis lors de la seconde mutation.
Il est précisé que M. C est décédé en 2008.
A ) Nouvelle liquidation des droits dus sur la première transmission
Part taxable = 140 000 €
Abattement applicable = 50 000 €
Reste taxable = 90 000 €
Droits dus = 16 300 €
Application de la réduction de droits de 50 % en fonction de l'âge du donateur
Droits dus = 8 150 €
Le montant des droits payés en janvier 2007 s'élevait à 55 650 €. Le montant des droits pouvant être imputés est donc de 47 500 € (55 650 – 8 150).
B ) Liquidation de la seconde transmission (en 2011)
Part taxable = 520 000 €
Abattement applicable = 159 325 €
Reste taxable = 360 675 €
Droits dus = 70 330 €
Pas de réduction de droits applicables, M. C étant décédé au jour de la seconde mutation.
Imputation des droits payés lors de la 1ère transmission à titre gratuit : 70 330 € - 47 500 € = 22 830 €
Montant des droits dus sur la seconde transmission = 22 830 €.
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En cas de décès du donateur avant celui du premier gratifié, lors de la seconde transmission, il est admis que l'abattement applicable demeure celui existant en cas de mutation à titre gratuit entre vifs. Ainsi, par exemple, en cas de décès du grand-père donateur, lorsque le second gratifié est un petit-enfant, ce dernier bénéficiera de l'abattement prévu à l'article 790 B du CGI et non de celui prévu au IV de l'article 788 du CGI.
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Lors de la seconde transmission, soit un nouvel acte est établi pour constater la réalisation de la condition, soit, s'il n'est pas dressé d'acte, il est admis que les parties présentent à l'enregistrement l'acte initial complété d'une mention indiquant la date de la seconde transmission.
Il est rappelé que le troisième alinéa de l'article 752 du CGI prévoit que la présomption de propriété prévue à l'alinéa premier n'est pas appliquée aux biens ayant fait l'objet d'une libéralité graduelle ou résiduelle.