CF - Infractions et sanctions pénales - Poursuites correctionnelles - Délit général de fraude fiscale - Les peines
I. Principes
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Seules les peines expressément prononcées par la juridiction peuvent être appliquées (article 132-17 alinéa 1er du Code pénal).
La juridiction peut ne prononcer que l’une des peines encourues pour l’infraction dont elle est saisie (article 132-17 alinéa 2 du Code pénal).
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La juridiction peut fixer librement la peine dans la limite du maximum encouru.
La peine prononcée ne peut excéder cette limite légale :
Par un arrêt du 19 mai 2005 n° 04-86604 la Cour de cassation a censuré les juges du second degré qui avaient condamné le prévenu à 38 000 € d’amende (limite légale : 37 500 €).
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Les sanctions pénales sont applicables indépendamment des sanctions fiscales (majorations pour défaut de dépôt dans les délais, manquement délibéré ou manœuvres frauduleuses, amendes fiscales), sans que puisse être invoquée la règle non bis in idem qui interdit que les mêmes faits puissent être sanctionnés deux fois.
La Cour de cassation a affirmé à plusieurs reprises que l’interdiction d’une double condamnation à raison des mêmes faits, prévue par l’article 4 du Protocole n° 7 additionnel à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, ne trouve à s’appliquer, selon les réserves faites par la France en marge de ce protocole, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale et n’interdit pas le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux peines infligées par le juge répressif (Cass. Crim. 4 juin 1998, n° 9780620 / Cass. Crim.19 mai 1999,n° 9880267 Cass. Crim. 2 octobre 2002, n° 01-87996 .
La Cour de cassation a également indiqué que l’interdiction d’une double condamnation à raison des mêmes faits prévue, notamment, par l’article 14-7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte de New-York) ne trouve à s’appliquer que dans le cas où une même infraction pénale, ayant déjà donné lieu à un jugement définitif de condamnation ou d’acquittement, ferait l’objet d’une nouvelle poursuite et, le cas échéant, d’une condamnation devant ou par une juridiction répressive.
La Cour a précisé que ni le principe ni le texte conventionnel susvisés n’interdisent le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux peines infligées par le juge répressif (Cass. Crim. 5 juin 2002, n° 01-85005).
La Cour Européenne des Droits de l’Homme a statué dans le même sens à l’occasion de deux requêtes introduites à l’encontre de la France par un seul et même arrêt en date du 14 septembre 1999 au terme duquel, elle a considéré que les éléments constitutifs du délit de fraude fiscale différent de ceux de l’infraction fiscale de l’article 1728 du code général des impôts (CGI) de telle sorte qu’aucune question ne pourrait se poser sous l’angle de l’article 4 du protocole n°7.
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Les juges fixent librement la peine (dans la limite du maximum encouru) en tenant compte des circonstances propres à chaque affaire :
- dans le sens du prononcé d’une peine modérée :
Cass. Crim. 3 mai 2001,n° 00-83599 : les juges ont tenu compte de la gravité des faits mais également de la personnalité du prévenu, des difficultés qu’il invoquait et des efforts de régularisation entrepris ;
- dans le sens du prononcé d’une peine sévère :
Cass. Crim. 30 janvier 2002, n° 01-80501 : les juges ont relevé la durée des carences et l’importance du passif résultant de l’action du prévenu en sa qualité de gérant de fait de la société.
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En matière correctionnelle, la juridiction ne peut prononcer une peine d’emprisonnement sans sursis qu’après avoir spécialement motivé le choix de cette peine (article 132-19 du Code pénal).
Cette obligation légale de motivation du prononcé d’une peine d’emprisonnement sans sursis a été rappelée à maintes reprises par la Cour de cassation :
- Cass. Crim. 5 août 1998, n° 97-81475 :cassation et annulation de l’arrêt de la Cour d’appel en ses dispositions concernant les peines, les motifs ayant conduit les juges du second degré à prononcer une peine d’emprisonnement sans sursis étant incertains ;
- Cass. Crim. 24 novembre 1999, n° 99-81388 : les juges ont motivé le choix d’une peine d’emprisonnement partiellement sans sursis en relevant l’importance de la fraude fiscale et les antécédents judiciaires du prévenu ;
- Cass. Crim. 6 janvier 2000, n° 99-80334 : emprisonnement partiellement sans sursis motivé par l’importance des sommes dissimulées et le caractère systématique de ces dissimulations sur plusieurs années.
II. Peines applicables
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S’agissant du délit de fraude fiscale, trois catégories de peines sont applicables : principales, complémentaires et accessoires.
A. Peines principales
Les peines principales sont prévues à l'article 1741 du CGI. Ce sont des peines d'emprisonnement et d'amende.
1. Peines pour l’auteur du délit
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L’auteur du délit de fraude fiscale est passible :
- d’un emprisonnement de 5 ans ;
- et d’une amende de 37 500 €.
Lorsque les faits ont été réalisés ou facilités au moyen soit d’achats ou de ventes sans facture, soit de factures ne se rapportant pas à des opérations réelles, ou qu’ils ont eu pour objet d’obtenir de l’État des remboursements injustifiés, leur auteur est passible :
- d’un emprisonnement de 5 ans ;
- et d’une amende de 75 000 €.
2. Peines pour les complices
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En application des dispositions de l' article 1742 du CGI et des articles 121-6 et 121-7 du Code pénal, les complices du délit de fraude fiscale encourent les mêmes peines que l’auteur de l’infraction.
B. Peines complémentaires
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A la différence des peines accessoires, les peines complémentaires doivent être expressément prononcées par le tribunal.
La Cour de cassation a précisé qu’aucune disposition légale n’imposait au juge pénal de motiver le prononcé d’une peine complémentaire (Cass. Crim. 11 janvier 2001, n°00-80350.
1. Peine complémentaire : publication et affichage du jugement
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Article 1741 alinéa 4 du CGI : Le tribunal ordonnera dans tous les cas la publication intégrale ou par extraits des jugements dans le Journal officiel de la République française ainsi que dans les journaux désignés par lui et leur affichage intégral ou par extraits pendant trois mois sur les panneaux réservés à l’affichage des publications officielles de la commune où les contribuables ont leur domicile ainsi que sur la porte extérieure de l’immeuble du ou des établissements professionnels de ces contribuables.
La publication et l’affichage d’une condamnation constituent une peine complémentaire obligatoire (Cass. Crim.19 novembre 1998, n° 97-85669).
Le juge ne peut se dispenser de la prononcer, mais il dispose de la faculté d’en relever la personne condamnée.
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Par la publicité des jugements définitifs de condamnation, qui ne doit pas être confondue avec les comptes rendus d’audience publiés par la presse et les notes d’information diffusées auprès de leurs adhérents par certains syndicats professionnels, le législateur a entendu renforcer l’effet dissuasif des condamnations prononcées à l’égard des fraudeurs.
La Cour de cassation a précisé que le prononcé des peines complémentaires de l’affichage et de la publication ne contrevient pas aux dispositions de l’article 6-1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (droit à un procès équitable) dès lors que si les mesures de publication et d’affichage s’appliquent de plein droit, échappant à l’appréciation des juridictions répressives, leur prononcé est subordonné à la reconnaissance de la culpabilité de l’auteur d’une fraude fiscale par le juge pénal, après examen préalable de la cause par un tribunal indépendant et impartial (Cass. Crim. 7 mars 2001, LICCIARDI Vincenzo).
La Cour de cassation a, par ailleurs, indiqué que la publication et l’affichage d’une décision de justice constituent des sanctions légales, dont le prononcé ne contrevient pas aux dispositions des articles 3 (interdiction de la torture) et 8-1 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (Cass. Crim. 26 mars 1990.
a. Modalités d’exécution
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Si les tribunaux sont tenus d’ordonner la publication et l’affichage, ils n’ont pas à en fixer la durée qui est expressément prévue par la loi
(Cass. Crim. 17 novembre 1976, – page 838 / Cass. Crim. 6 octobre 2004 : en l’espèce, la Cour de cassation a censuré les juges du fond en ce qu’ils avaient réduit la durée de l’affichage à un mois et omis d’ordonner la publication).
Ils n’ont pas davantage à fixer l’importance et le coût des extraits qui est intégralement à la charge du condamné (Cass. Crim. 12 janvier 1981, et Cass. Crim. 6 avril 2005) ,
A cet égard, la Cour de cassation a précisé à plusieurs reprises que le juge, nonobstant les dispositions de l’article 131-35 du Code pénal, n’avait pas à limiter le coût de la mesure à une somme dont il fixait le montant maximum (Cass. Crim. 28 mars 1996, BIENSAN Jacques).
Aux termes de l’article 132-31 du Code pénal, le sursis n’est pas applicable à la peine complémentaire de l’affichage.
La personne condamnée définitivement peut par requête solliciter la possibilité d’être relevée des mesures de publication et d’affichage ainsi que de l’inscription du casier judiciaire n°2 (article 702-1 du Code de procédure pénale).
b. Lieu d’affichage
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L’article 1741 du CGI précise que l’affichage s’effectuera sur les panneaux réservés à l’affichage des publications officielles de la commune où les contribuables ont leur domicile ainsi que sur la porte extérieure de l’immeuble du ou des établissements professionnels de ces contribuables.
Sur ce point, la Cour de cassation a estimé que les locaux de l’Université de droit où le prévenu, maître-assistant, exerçait son activité, ne pouvaient être considérés comme l’établissement professionnel de l’intéressé (Cass. Crim. 19 mai 1983).
Par ailleurs, la Cour de cassation a censuré les juges du second degré qui avaient ordonné l’affichage à la porte du domicile des contribuables (Cass. Crim. 17 juillet 1991).
c. Personnes concernées
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La peine complémentaire de la publication et de l’affichage s’applique non seulement à l’auteur du délit de fraude fiscale mais également à son complice qui encourt les mêmes peines, qu’il s’agisse de peines principales ou de peines complémentaires (Cass. Crim. 16 mars 1981).
2. Peines complémentaires facultatives
a. Interdiction temporaire d’exercer et suspension du permis de conduire
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En application des dispositions de l’article 1750 du CGI, le tribunal peut, à titre de peine complémentaire, interdire temporairement au condamné d’exercer, directement ou par personne interposée, pour son compte ou le compte d’autrui, toute profession industrielle, commerciale ou libérale, et prononcer, dans les mêmes conditions, la suspension du permis de conduire un véhicule automobile.
Les deux peines, interdiction temporaire d’exercer et suspension du permis de conduire, peuvent être prononcées cumulativement.
Aux termes de l’article 1750 du CGI, la durée de l’interdiction ou de la suspension ne peut excéder trois ans. Cette durée pourra être doublée en cas de récidive.
Le tribunal peut autoriser le condamné à faire usage de son permis de conduire pour l’exercice d’une activité professionnelle.
b. Privation des droits civiques, civils et de famille :
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L’article 1741 du CGI prévoit que toute personne condamnée en application des dispositions du présent article pourra être privée des droits civiques, civils et de famille suivant les modalités prévues par l’article 131-26 du Code pénal.
L’interdiction des droits civiques, civils et de famille ne peut excéder une durée de 5 ans en cas de condamnation pour délit (article 131-26-5° du Code pénal).
3. Peines accessoires
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Le Code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994 ne prévoit plus de peines accessoires.
Cela étant, les peines accessoires prévues par des dispositions particulières extérieures au Code pénal demeurent applicables et résultent automatiquement de la condamnation prononcée.
a. Interdiction de participer aux travaux de certaines Commissions
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Aux termes de l’article 1753 du CGI, les personnes qui, à l’occasion de fraudes fiscales ou d’oppositions au contrôle fiscal, ont fait l’objet d’une condamnation, prononcée par le tribunal, à l’une des peines prévues au 4 du I de l’article 1737, au 1 de l’article 1738, aux articles 1741 à 1747, 1751, au 5 du V de l’article 1754, au 2 de l’article 1761, aux articles 1771 à 1775, 1777, 1778, 1783 A, 1788, à l'article 1788 A, aux articles 1789 et 1790, 1810 à 1815, 1819, 1821, aux articles 1837 à 1839, 1840 B, 1840 I et 1840 O à 1840 Q, ne sont pas admises à participer aux travaux.
- de la Commission communale des impôts directs ;
- de la Commission départementale et nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires ;
- des Commissions centrales des impôts directs (bénéfices agricoles et évaluations foncières) ;
- de la Commission départementale de conciliation.
b. Déchéance des avantages résultant d’un agrément fiscal
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L’article 1649 nonies A-2 du CGI prévoit que lorsque le bénéficiaire d’avantages fiscaux accordés du fait d’un agrément administratif ou d’une convention passée avec l’État, se rend coupable, postérieurement à la date de l’agrément ou de la signature de la convention, d’une infraction fiscale reconnue frauduleuse par une décision judiciaire ayant autorité de chose jugée, il est déchu du bénéfice desdits avantages.
Les impôts dont il a été dispensé depuis la date de l’infraction deviennent immédiatement exigibles, sans préjudice de l’intérêt de retard prévu à l’article 1727 du CGI et calculé à partir de la date à laquelle ils auraient dû être acquittés.
4. Peines applicables aux personnes morales
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L’article 131-38 du Code pénal prévoit l’application d’une amende égale au quintuple de celle prévue pour les personnes physiques. Les peines complémentaires et facultatives ne sont pas, en l’état du droit, applicables aux personnes morales en matière de fraude fiscale.
III. Autres conséquences de la poursuite du délit de fraude fiscale
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En cas d'information ouverte du chef de fraude fiscale, l'administration peut se constituer partie civile
Outre le fait d'être ainsi présente à tous les stades de la procédure, l'exercice de cette faculté permet à l'Administration de demander au juge pénal de lui accorder le bénéfice de moyens supplémentaires de recouvrement.
A. A Obligation solidaire des personnes condamnées pour le paiement des droits fraudés et des pénalités
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L'article 1745 du CGI dispose que « tous ceux qui ont fait l'objet d'une condamnation définitive prononcée en application des articles 1741, 1742 ou 1743 peuvent être solidairement tenus, avec le redevable légal de l'impôt fraudé, au paiement de cet impôt ainsi qu'à celui des pénalités fiscales y afférentes ».
Il ressort de la jurisprudence que l'administration ne peut exercer les droits découlant de la solidarité pour le recouvrement des impôts fraudés et des pénalités y afférentes que si cette solidarité, qu'il appartient uniquement au juge pénal d'ordonner, résulte d'une condamnation devenue définitive prononcée en application des articles 1741, 1742 ou 1743 du CGI (Cass. crim., 8 décembre 1980 n° 79-94929).
Les juges du fond disposent d'un pouvoir souverain d'appréciation pour prononcer la solidarité demandée par l'administration fiscale.
Sous réserve toutefois qu'ils ne commettent aucune erreur de droit ou de fait (Cass. crim., 16 janvier 1984, n° 82-94,448)
Et n'ont pas, à cet égard, à motiver spécialement leur décision (Cass. Crim., 2 mai 1988,n° 87-84,059).
En revanche, ils ne sont pas fondés à cantonner la solidarité à une somme déterminée dès lors qu'il appartient à l'administration fiscale, sous le seul contrôle du juge de l'impôt, de fixer le montant des impositions éludées (Cass. crim., 23 avril 1990).
Les personnes tenues par la solidarité édictée par l'article 1745 du CGI sont tous les auteurs, coauteurs ou complices d'une même infraction qui ne sont pas le redevable légal de l'impôt fraudé.
En effet, la solidarité ne peut affecter la situation du redevable légal qui, par application des règles propres au droit fiscal, demeure tenu au paiement total des impôts fraudés et des pénalités qui sont la conséquence de cette fraude (Cass. crim., 24 mai 1982).
Par ailleurs, lorsque le redevable légal de l'impôt fraudé est une personne morale,
la Cour de cassation a jugé que la solidarité n'est encourue par le dirigeant poursuivi pénalement que dans la mesure où ce dernier avait la direction de la société au sein de laquelle la fraude fiscale a été perpétrée (Cass. crim, 6 avril 1987 n° 85-96,581).
Par suite, cette mesure ne saurait être prononcée lorsque le prévenu a cessé ses fonctions à la date des faits pénalement poursuivis (Cass. crim., 2 mars 1987 n°85-93,947.
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Sans entraîner de novation dans la nature de la créance et donnant au Trésor un débiteur supplémentaire, le prononcé de la solidarité s'analyse en une condamnation à caractère civil qui trouve sa source dans le jugement correctionnel.
Il en résulte que le titre exécutoire permettant de poursuivre à l'encontre du codébiteur solidaire le recouvrement des sommes ainsi mises à sa charge -il peut s'agir de tout ou partie de l'impôt fraudé et des pénalités correspondantes- est constitué par la décision de justice ayant prononcé la solidarité et que l'exécution de cette décision doit être poursuivie dans les conditions prévues aux articles 501 et suivants du Code de procédure civile.
B. Prorogation du délai de reprise en cas de dépôt d'une plainte
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L'article L187 du livre des procédures fiscales (LPF) dispose que « lorsque l'administration ayant découvert qu'un contribuable se livrait à des agissements frauduleux, a déposé une plainte contre lui, elle peut procéder à des contrôles et à des rehaussements au titre des deux années excédant le délai ordinaire de prescription.
Cette prorogation de délai est applicable aux auteurs des agissements, à leurs complices et, le cas échéant, aux personnes pour le compte desquelles la fraude a été commise.
Jusqu'à la décision de la juridiction pénale et à condition que le contribuable constitue des garanties dans les conditions prévues aux articles L277 du LPF à L280 du LPF, le recouvrement des impositions correspondant à la période qui excède le délai ordinaire de prescription est suspendu. Ces impositions sont caduques si la procédure judiciaire se termine par une ordonnance de non-lieu ou si les personnes poursuivies bénéficient d'une décision de relaxe ».
Ce texte ne remet pas en cause le délai général de répétition, mais il apporte une dérogation lorsqu'une plainte est déposée en vue de l'exercice des poursuites correctionnelles.