CTX – Contentieux de l'assiette de l'impôt – Dispositions communes - Questions préjudicielles
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Un principe traditionnel du droit français veut que le juge de l'action soit également le juge de l'exception. Ce principe est toutefois limité par l'existence de questions préjudicielles : il y a question préjudicielle lorsque la solution du différend soumis au tribunal dépend de la solution d'une autre question qui ne rentre pas dans la compétence du tribunal saisi. Ce dernier doit alors surseoir à statuer jusqu'à ce que ladite question ait été tranchée.
Remarque :
Un tribunal peut également surseoir à statuer pour d'autres motifs, mais sans en avoir l'obligation (cf. BOI-CTX-DG-20-70-20).
Dans la mesure où les questions préjudicielles interrompent ainsi le déroulement de l'instance, elles figurent habituellement au rang des incidents de procédure.
En ce qui concerne le contentieux de l'impôt, cet incident se produit de manière peu fréquente.
L'explication réside dans le fait que l'interprétation de la loi fiscale est dominée par le principe d'autonomie du droit fiscal et qu'en vertu de ce principe, l'Administration n'est pas toujours liée dans l'application de l'impôt par les définitions juridiques générales, telles qu'elles sont établies en droit commun, mais peut leur substituer des définitions propres, basées sur des situations de fait. Ainsi, par exemple, le Code général des impôts (CGI) donne du domicile une définition qui n'est pas celle du droit civil, et par voie de conséquence aucune question préjudicielle n'est à renvoyer sur ce point d'une juridiction administrative à une juridiction judiciaire (cf. I A 1 a 2°).
Au demeurant, la jurisprudence exige la réalisation de certaines conditions pour qu'il y ait renvoi devant une juridiction d'un autre ordre pour question préjudicielle.
Il convient d'examiner les conditions d'existence (I) puis les conséquences des questions préjudicielles (II).
I. Conditions d'existence des questions préjudicielles
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Pour qu'il y ait question préjudicielle la jurisprudence exige la réalisation de trois conditions indispensables : la première tient à l'incompétence du juge saisi, la seconde a trait à la difficulté sérieuse de la question posée et la dernière se rapporte à la nécessité pour la solution du litige de résoudre préalablement ladite question.
A. Incompétence du juge saisi pour statuer sur la question donnant lieu à renvoi préjudiciel
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Pour qu'il y ait question préjudicielle il faut d'abord que le juge saisi ne soit pas compétent pour se prononcer sur la question litigieuse dont l'examen relève de la compétence exclusive d'une autre juridiction appartenant en pratique à un ordre différent.
Il convient donc d'examiner les questions préjudicielles devant les juridictions administratives, puis les questions préjudicielles devant les juridictions judiciaires et enfin, les questions préjudicielles diplomatiques qui se posent devant les deux ordres de juridiction.
1. Questions préjudicielles devant les juridictions administratives
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Lorsqu'elle est saisie d'une action rentrant dans sa compétence la juridiction administrative a qualité pour se prononcer, le cas échéant, sur les exceptions opposées à cette action ; il n'en est autrement que s'il s'agit d'exceptions relatives à des questions qui ressortissent à la compétence exclusive des tribunaux judiciaires. Seules les exceptions remplissant cette condition constituent des questions préjudicielles qui imposent à la juridiction administrative l'obligation de surseoir à statuer jusqu'à ce que lesdites questions aient été tranchées par le tribunal de l'ordre judiciaire compétent.
En ce sens : Tribunal des conflits, arrêt du 23 novembre 1959, n° 1701, RO, p. 511 ; CE, arrêt du 22 février 1960, n° 24187, RO, p. 24).
Le critère déterminant est donc que la question litigieuse relève de la compétence exclusive des tribunaux judiciaires.
Toutefois, il convient de remarquer que la contestation soulevée ne doit pas correspondre à un litige que le redevable aurait dû soumettre auparavant aux tribunaux judiciaires.
Ainsi, une requérante, qui sollicite le dégrèvement de la contribution foncière des propriétés bâties prévu par l'ancien article 1398 du code général des impôts (CGI) (actuellement art. 1390 du CGI) en faveur des titulaires de la carte sociale des « économiquement faibles », ne peut obtenir satisfaction en alléguant que cette carte lui a été refusée à tort car « il n'appartient pas au juge de l'impôt de se prononcer sur cette contestation qui aurait dû être portée par l'intéressée devant la juridiction compétente pour en connaître » (CE, arrêt du 24 mars 1956, RO, p. 60). Il est précisé que l'article 21 de la loi de finances pour 1992 a substitué aux dégrèvements totaux de taxe foncière sur les propriétés bâties, notamment visés par les dispositions alors en vigueur de l'article 1398 du CGI, des exonérations.
De même, un contribuable n'a pas, à l'occasion d'un litige relatif à la contribution foncière des propriétés non bâties, à faire trancher sous forme de question préjudicielle une contestation sur la contenance de sa propriété figurant au plan cadastral, qu'il lui appartenait de soumettre au tribunal compétent (CE, arrêt du 25 janvier 1960, RO, p. 7).
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Sous ces réserves, la jurisprudence offre une assez grande variété d'exemples dans lesquels des questions préjudicielles ont été ou non soulevées, selon le cas, par le juge administratif de l'impôt, et qui se rapportent notamment à l'état des personnes, au droit de propriété, à certaines interprétations en matière de droit civil.
Remarque :
Les questions préjudicielles afférentes à l'interprétation d'une convention diplomatique sont étudiées ci-après. I A 3 a.
Les solutions suivantes ont été retenues par la jurisprudence :
a. Questions préjudicielles relatives à l'état des personnes
1° En matière de nationalité
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Selon les prescriptions du code civil (art. 29), la juridiction civile de droit commun est seule compétente pour connaître des contestations sur la nationalité française ou étrangère des personnes physiques, les questions de nationalité étant préjudicielles devant toute autre juridiction de l'ordre administratif ou judiciaire à l'exception des juridictions répressives comportant un jury criminel.
Ainsi, la question de savoir quelle est la nationalité qui a pu être acquise par un contribuable à la suite de son mariage relève de la compétence exclusive de l'autorité judiciaire. Lorsqu'une requête présente à juger une telle question, la juridiction administrative doit surseoir à statuer jusqu'à ce que la question préjudicielle ait été résolue par le tribunal compétent (CE, arrêt du 11 octobre 1954, n° 32.335, RO, p. 132).
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Mais les prescriptions susvisées du code civil ne sont applicables qu'aux questions préjudicielles de nationalité concernant les personnes physiques.
Les personnes morales ne pouvant exercer l'action principale en reconnaissance de nationalité française, ou d'extranéité, prévue à l'article 29-3 du code civil, aucune disposition législative n'attribue aux tribunaux judiciaires une compétence exclusive pour se prononcer soit par voie d'action principale, soit par voie de question préjudicielle sur la détermination de la nationalité des personnes morales.
Dès lors, la question de la nationalité d'une société doit être tranchée par la juridiction qui a compétence pour connaître de l'action à l'occasion de laquelle elle est soulevée et ne saurait constituer une question préjudicielle imposant à ladite juridiction l'obligation de surseoir à statuer (Tribunal des conflits, arrêt du 23 novembre 1959 et CE, 22 février 1960, cités ci-dessus n° 30).
2° En matière de domicile
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La notion de domicile en fiscalité étant différente de la notion de domicile en droit civil, la juridiction administrative est compétente pour apprécier si au regard des dispositions du CGI un contribuable de nationalité française est ou non domicilié en France.
En ce sens : CE, arrêt du 11 mars 1970, n°69588.
Il en est de même pour un contribuable de nationalité étrangère
En ce sens : (CE, arrêt du 22 mars 1937, n° 44.935, RO, p. 192).
b. Questions préjudicielles concernant le droit de propriété
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Lorsqu'au cours d'un litige survient un désaccord sur le droit de propriété, la question soulevée relève de la compétence des tribunaux judiciaires.
Il en est ainsi, d'une manière générale, toutes les fois qu'il s'agit d'apprécier quels sont, au point de vue de la translation de propriété, les effets d'un acte ou d'une convention
En ce sens : CE, arrêt du 18 janvier 1988, n° 06490.
Ainsi, le point de savoir si la préemption exercée sur un immeuble par le service des impôts et à laquelle ce service a ultérieurement renoncé avec effet rétroactif, a eu ou non pour conséquence de déposséder le propriétaire de son bien constitue une question préjudicielle de la nature de celles dont la juridiction administrative doit attendre la solution par l'autorité judiciaire compétente, avant de statuer elle-même sur la demande en décharge ou en mutation de cote de la contribution foncière présentée par l'intéressé (CE, arrêt du 13 juillet 1961, n° 49980, RO, p. 409, 1ère espèce).
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Par ailleurs, il convient de signaler que le droit de propriété en question doit être entendu au sens large et non limité à la propriété d'immeubles.
Ainsi :
- lorsqu'un contribuable se prétend propriétaire d'un véhicule automobile et qu'il y a litige à cet égard, c'est l'autorité judiciaire qui est compétente pour trancher cette question de propriété (CE, arrêt du 16 juin 1967, n° 70108, RJ, 2e partie, p. 154) ;
- lorsqu'un ingénieur prétend que la somme reçue par lui à la suite de son départ d'une société dont il était le salarié représente non pas un revenu imposable mais le prix de cession à ladite société des droits de copropriété qu'il détenait sur divers brevets pris au nom de cette dernière, il appartient à l'autorité judiciaire, eu égard au caractère sérieux de la contestation soulevée, de trancher la question de savoir si, à la date du versement de la somme susvisée, l'intéressé était ou non effectivement copropriétaire des brevets en cause (CE, arrêt du 30 octobre 1968, n° 71732).
c. Questions préjudicielles de droit civil
1° En matière d'obligation
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Aux termes de l'article L282 du LPF, lorsqu'un tiers, mis en cause en vertu des dispositions du droit commun, contestera son obligation à la dette du contribuable inscrit au rôle, le tribunal administratif surseoira à statuer jusqu'à ce que la juridiction civile ait tranché la question de l'obligation.
Ainsi, il a été jugé que lorsqu'une personne, qui s'était portée caution conjointe et solidaire du paiement de droits et intérêts de retard dus en matière de taxes sur le chiffre d'affaires par une société, a formé opposition aux actes de poursuites engagés à son encontre, en contestant l'obligation résultant pour elle du cautionnement, le tribunal administratif doit surseoir à statuer jusqu'à ce que la juridiction civile ait tranché la question de l'obligation (CE, arrêt du 6 décembre 1967, n°70626).
2° En matière d'interprétation d'un contrat
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En cas de dispositions contractuelles ambigües ou contradictoires échappant à son champ de compétence, le juge administratif sollicite l'interprétation des juges de l'ordre judiciaire.
Ainsi, le juge de l'impôt, ayant à résoudre la question de savoir si le bailleur d'un immeuble à usage d'hôtel, en raison de l'existence d'un contrat antérieur de cession du nom commercial, avait consenti une location civile ou bien la location d'un ensemble d'éléments constitutifs d'un fonds de commerce, et éprouvant un doute sérieux sur la portée des contrats d'où est issue la situation soumise à son appréciation, a estimé devoir, en conséquence, renvoyer à l'autorité judiciaire la question d'interprétation du contrat (CE, arrêt du 13 mai 1964, n° 60894).
De même, lorsque se pose une question touchant à l'interprétation d'un cahier des charges d'une vente immobilière - qui relève de la compétence de l'autorité judiciaire - il y a lieu pour le Conseil d'Etat de surseoir à statuer jusqu'à ce que la juridiction compétente se soit prononcée sur la question préjudicielle dont il s'agit (CE, arrêt du 4 juin 1965, n°64516).
En revanche, le juge administratif est compétent pour apprécier si la somme encaissée par un contribuable constitue le prix d'une vente. Il s'ensuit que doit être annulé le jugement qui renvoie l'Administration et le contribuable devant l'autorité judiciaire pour faire interpréter, à titre de question préjudicielle, les clauses du contrat en vertu duquel a été payée la somme sur laquelle l'impôt est réclamé (CE, arrêt du 6 novembre 1931, n° 19705, BCI n° 2, 1932, p. 32, TJCA n° 53005).
Il est également compétent pour résoudre la question de savoir si un contribuable qui a exécuté un lot de travaux soumissionnés par une société doit, pour l'application de la loi fiscale, être considéré comme ayant agi en qualité de membre d'une association en participation formée entre lui-même et la société susvisée ou comme sous-traitant. Dès lors, c'est à tort qu'en pareil cas le tribunal administratif surseoit à statuer jusqu'à ce que la juridiction compétente se soit prononcée sur la question préjudicielle de savoir quelle est la nature exacte de l'association alléguée (CE, arrêt du 2 mars 1942, n° 70285, RJCI 1942, p. 177, TJCA n° 53011).
Mais, le juge administratif demeure compétent pour interpréter les actes pour lesquels l'Administration s'est réclamée des dispositions de l'article L64 du LPF (abus de droit).
d. Questions diverses
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Il a été jugé que :
- s'agissant du lieu d'imposition d'une maison située sur la ligne séparative de deux communes, c'est à la juridiction administrative qu'il appartient de statuer sur le litige dès lors qu'il n'existe sur les limites mêmes des communes, aucune contestation présentant à juger une question préjudicielle (CE, arrêt du 23 mai 1960, n° 35333, RO, p. 89) ;
- le juge administratif est compétent pour interpréter l'article 1561 du CGI concernant l'exonération de taxe sur les spectacles dont dépend l'exonération de taxe locale et il n'y a pas lieu à renvoi pour question préjudicielle devant la juridiction compétente pour connaître des litiges concernant la taxe sur les spectacles (CE, section, arrêt du 21 novembre 1975, n° 95740) ;
- il appartient au juge de l'impôt, en vue de déterminer le régime d'imposition des divers éléments d'une indemnité, de rechercher, en se fondant sur les termes du jugement du tribunal de grande instance, rapprochés si besoin est, des pièces au vu desquelles ce jugement a été rendu, la nature des différents préjudices que le tribunal a entendu réparer par l'allocation d'une indemnité d'éviction globale, ainsi que la part de cette indemnité que le tribunal doit être réputé avoir affectée à la réparation de la perte, subie par le bénéficiaire de l'indemnité, sur certains éléments de son actif immobilisé (CE, arrêt du 27 mai 1983, n° 27921).
e. Cas particulier : L'inscription de faux
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Lorsque devant la juridiction administrative une partie déclare s'inscrire en faux contre un acte, le tribunal administratif apprécie si la pièce arguée de faux commande la solution du litige et, dans l'affirmative, il sursoit à statuer jusqu'au jugement de faux rendu par les tribunaux judiciaires.
Cette procédure, qui s'apparente à une question préjudicielle, est examinée dans le cadre des développements consacrés à la procédure devant le tribunal administratif (cf. BOI-CTX-ADM-10-50).
2. Questions préjudicielles devant les juridictions judiciaires
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En principe, les tribunaux de grande instance, juges de l'impôt en matière de droits d'enregistrement et de timbre, de taxe de publicité foncière, d'impôt de solidarité sur la fortune, de contributions indirectes et de taxes assimilées, ont la plénitude de juridiction civile.
Ils peuvent, le juge de l'action étant le juge de l'exception, connaître de toutes les questions se rattachant aux affaires qui leur sont soumises.
Ces tribunaux peuvent même avoir à délibérer sur des questions ressortissant normalement à la compétence des tribunaux d'instance ou de commerce.
Ainsi, dans une instance au cours de laquelle le tribunal avait sursis « à statuer, afin que la juridiction administrative interprète l'acte administratif individuel contesté, en l'espèce, une lettre par laquelle un directeur départemental de l'Équipement faisait connaître au service des impôts que la bretelle en bordure de laquelle les affiches incriminées ont été édifiées était une déviation de route nationale et non une route expresse ». La Cour a annulé ce jugement au motif « qu'en vertu de l'ancien article 1946 du Code général des impôts, applicable en la cause, dont les dispositions ont été reprises par l'article L199 du LPF, le tribunal de grande instance est seul compétent en matière de droits de timbre, et qu'en l'espèce, il appartenait au tribunal de se prononcer sur la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis et de statuer sur l'opposition à l'avis de mise en recouvrement collectif émis par l'Administration des impôts ». Il est à noter qu'en vertu de l'ancien article 944-I du CGI, le droit de timbre des affiches était doublé lorsque celles-ci étaient visibles d'une autoroute, d'une bretelle de raccordement à une autoroute ou d'une déviation. Le doublement de tarif dépendait donc du classement de la voie publique litigieuse. Par ailleurs, si la Cour a visé, dans sa motivation, l'article L199 du LPF relatif à la répartition des compétences juridictionnelles en matière fiscale, elle a cassé le jugement en énonçant que celui-ci avait violé l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 relatif à la séparation des pouvoirs. Cette décision confirme donc le principe de la plénitude de juridiction du juge civil statuant en matière fiscale (Cass. Com., pourvoi n°82-12933 du 7 novembre 1983).
Cependant des questions préjudicielles peuvent également se poser devant les tribunaux judiciaires.
Ceux-ci doivent surseoir à statuer lorsqu'à l'occasion du litige pendant devant eux, est soulevée une question relevant de la compétence du juge pénal ou de la juridiction administrative
Remarque :
Les questions préjudicielles afférentes à l'interprétation d'une convention diplomatique sont étudiées ci-après n° 170.
a. Question préjudicielle pénale
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En application du principe « le criminel tient le civil en l'état », les tribunaux judiciaires doivent surseoir à statuer jusqu'à l'issue de la poursuite pénale dont fait l'objet l'une des parties.
Cette hypothèse se rencontre notamment dans les cas d'inscription de faux contre un acte authentique.
Ainsi, lorsque l'Administration fait connaître qu'elle s'est inscrite en faux contre les certificats de décharge, le tribunal procède régulièrement s'il surseoit à statuer jusqu'à l'issue de la poursuite criminelle dans laquelle l'opposant est impliqué.
Actuellement, l'inscription de faux contre des actes authentiques est réglementée par les articles 303 à 305 du Code de procédure civile (C. proc. Civ.), 306 à 312 du C. proc. Civ., 313 du C. proc. Civ. et 314 à 316 du C. proc. Civ.
Dans une telle situation l'Administration peut déposer une plainte en vue de faire condamner l'auteur du faux aux peines édictées par le Code pénal, art. 441-1 à 441-12 en matière de falsification ou d'altération d'écriture.
Si des poursuites pénales sont ainsi engagées contre les auteurs ou complices du faux, il est sursis au jugement civil jusqu'à ce qu'il ait été statué au pénal, à moins que le principal puisse être jugé sans tenir compte de la pièce arguée de faux ou qu'il y ait eu, sur le faux, renonciation ou transaction (C. proc. Civ., art. 312).
b. Question préjudicielle administrative
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Les tribunaux de l'ordre judiciaire, saisis d'un litige sur le fond des droits, devant lesquels l'une des parties soulève une question rentrant dans la compétence du juge administratif, doivent surseoir à statuer jusqu'à la décision de la juridiction administrative.
La question préjudicielle peut concerner :
- la faute d'un agent ;
- la responsabilité de l'Administration
En ce sens : Cass. Req., 15 novembre 1910, BCI 1911, n° 2, p. 6.
- la légalité ou l'interprétation d'un acte administratif ;
- l'exigibilité d'une imposition dont le contentieux ressortit à la compétence de la juridiction administrative.
Ainsi, une cour d'appel, saisie par un acheteur d'une demande en restitution de la taxe sur la valeur ajoutée facturée par le vendeur, justifie sa décision de surseoir à statuer jusqu'à ce que le tribunal administratif ait tranché la question de l'exigibilité de ladite taxe sur la vente dont il s'agit, dès lors qu'elle constate que, pour pouvoir se prononcer sur le bien-fondé de cette demande, il est nécessaire de savoir si la taxe était bien exigible, que cette question présente une difficulté réelle et relève, suivant les termes de l'ancien article 1852 du CGI alors en vigueur (act. art. L199 du LPF), de la compétence exclusive des tribunaux administratifs (Cass. Civ. 1ère , 5 juillet 1965, publication n° 449, RJCI, p. 140, n° 11).
3. Les questions préjudicielles diplomatiques
a. Juridictions judiciaires
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Il appartient aux tribunaux judiciaires d'interpréter les traités diplomatiques, sauf lorsque les dispositions soumises à leur interprétation mettent en jeu des questions de droit public international (Cass. Civ., 16 décembre 1968).
b. Juridictions administratives
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Le juge administratif est compétent pour interpréter une convention internationale sans renvoi d'une question préjudicielle au ministre des affaires étrangères.
En ce sens : CE, arrêt du 29 juin 1990, n° 78519.
Cette décision rompt avec la règle jurisprudentielle antérieure selon laquelle lorsqu'un litige présentait à juger une question concernant soit l'interprétation à donner, soit la portée à attribuer à un traité, accord ou convention diplomatiques, le ministre des Affaires étrangères était compétent pour résoudre cette question qui était préjudicielle (CE, arrêt du 19 mai 1972, n°76534, voir BOI-CTX-DG-20-10-30 II B 1).
c. Questions préjudicielles communautaires
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L'intégration du droit communautaire dans les ordres juridiques nationaux est conditionnée par deux principes essentiels : l'applicabilité directe et immédiate et la primauté du droit communautaire.
La Cour de Justice de l'Union Européenne [CJUE, anciennement Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE)], en se fondant sur la spécificité de l'ordre juridique communautaire, a fait apparaître une théorie générale de l'applicabilité directe, distincte de la notion classique des dispositions « self executing » des traités internationaux.
La prééminence du droit communautaire sur le droit national résulte de certaines des dispositions des actes constitutifs, comme l'article 5 du traité de la Communauté Économique Européenne (Traité de Rome - TCEE), dont les dispositions abrogées ont été reprises, en substance, par le 3 de l'article 4 du traité sur l'Union européenne (TUE), ainsi que de la finalité même de la construction européenne. La nécessité d'assurer une uniformité dans l'application des textes de la Communauté exige une unité d'interprétation qui ne peut être obtenue qu'en sauvegardant l'effet direct et la primauté du droit communautaire dans les ordres juridiques nationaux.
La Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer à titre préjudiciel sur l’interprétation du droit de l’Union européenne et sur la validité des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union.
Cette compétence générale lui est conférée par les articles 19, paragraphe 3, sous b, du traité sur l’Union européenne (JOUE 2008, C 115, p. 13) et 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JOUE 2008, C 115, p. 47).
Aux termes de l’article 256, paragraphe 3, du TFUE, le tribunal est compétent pour connaître des questions préjudicielles, soumises en vertu de l’article 267 du TFUE, dans des matières spécifiques déterminées par le statut. Le statut n’ayant pas été adapté à cet égard, la Cour de justice, ci-après «la Cour», demeure seule compétente pour statuer à titre préjudiciel.
Même si l’article 267 TFUE confère à la Cour une compétence générale, diverses dispositions prévoient cependant des exceptions ou restrictions de cette compétence. Il s’agit notamment des articles 275 et 276 du TFUE, ainsi que de l’article 10 du protocole (n°36) sur les dispositions transitoires du traité de Lisbonne (JOUE 2008, C 115, p. 322).
Enfin, la procédure suivie en matière de question préjudicielle est définie par les articles 23 et 23 bis du protocole n° 3 portant statut de la CJUE (JOUE 30/03/2010, C 83, p.216).
La Cour de cassation a jugé qu'est irrecevable le pourvoi dirigé contre le jugement qui se borne à user de la faculté qui est ouverte au tribunal par l'ancien article 177 du Traité instituant la Communauté Économique Européenne (désormais art. 19 TUE et 267 TFUE) de demander à la Cour de Justice de Luxembourg de statuer sur une question d'interprétation du Traité (Cass. Com., arrêt du 16 juillet 1985, pourvoi n° 84-13668).
De même, est irrecevable le pourvoi dirigé contre un jugement rendu en dernier ressort qui se borne à rejeter une fin de non-recevoir tendant à l'irrecevabilité d'une partie de la demande et à saisir la CJCE, à titre préjudiciel, d'une question d'interprétation du Traité de Rome et qui, par ailleurs, ne met pas fin à l'instance (Cass. Com., arrêt du 11 juillet 1988, pourvoi n° 86-18617). En effet, les décisions en dernier ressort qui, sans mettre fin à l'instance, statuent sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident ne peuvent être frappées de pourvoi en cassation indépendamment des jugements sur le fond que dans les cas spécifiés par la loi (art. 607 du C. proc. Civ. et art. 608 du C. proc. Civ.), étant rappelé que le pourvoi formé contre un jugement qui ne fait qu'user de la faculté ouverte au tribunal par l'ancien article 177 du Traité C.E.E. (actuellement 19 TUE et 267 TFUE) est, en tout état de cause, irrecevable (cf. Cass. Com arrêt du 16 juillet 1985, n°84-13668 précité).
La frontière entre l'interprétation du traité et son application ou entre l'interprétation et l'application du droit interne est souvent délicate à établir.
Seules, les juridictions nationales peuvent saisir la Cour de Justice et formuler les questions.
La Cour de Justice sursoit à statuer sur la demande en interprétation formulée par la juridiction nationale dès lors que cette décision de renvoi préjudiciel fait l'objet d'un recours juridictionnel de droit interne (Affaire 31/68, arrêt du 16 juin 1970, Rec. des arrêts de la Cour de Justice 1970, p. 403).
L'obligation pour les juridictions statuant en dernier ressort de saisir la Cour de Justice peut disparaître si une interprétation du texte communautaire a déjà été donnée (aff. 28 à 30/62, arrêt du 27 mars 1963, Rec. des arrêts de la Cour de justice 1963, p. 75).
Cela étant, la Cour de Justice n'est pas compétente pour interpréter les dispositions du droit international qui lient les Etats membres en dehors du cadre du droit communautaire. C'est ainsi que, dans le domaine fiscal, elle n'a pas à connaître des conventions bilatérales conclues entre les Etats membres en matière d'impôts sur le revenu.
En revanche, le recours à la procédure du renvoi préjudiciel institué par les articles 19 du TUE et 267 du TFUE tend à se généraliser en ce qui concerne la compatibilité du droit fiscal interne avec les normes communautaires.
B. Difficulté sérieuse de la question posée à titre préjudiciel
1. Notion de difficulté sérieuse de la question posée
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Pour que la question soulevée par les parties ou reconnue par le juge soit préjudicielle, il faut qu'elle présente, aux termes de la jurisprudence, un « caractère sérieux », « une difficulté réelle » .
Il en est ainsi notamment lorsque la contestation soulevée est subordonnée à une question d'attribution de propriété (cf. I A 1 b) :
- par suite d'un apport à une société (CE, arrêt du 20 avril 1942, requêtes n° 46.313 et .53.035, RO p.104 ) ;
- par suite de donation ou de licitation (CE, arrêt du 6 février 1970, n°75534) ;
- par suite d'un acte de partage de succession (CE, arrêt du 13 juillet 1966, n°61085).
Mais le tribunal administratif surseoit illégalement à statuer jusqu'au jugement d'une question préjudicielle par l'autorité judiciaire, dès lors que la solution des questions relatives au bien fondé des redressements contestés n'implique le règlement d'aucune difficulté sérieuse de droit privé (CE, arrêt du 13 décembre 1968, n°70821).
2. Refus de renvoi fondé sur l'absence de difficulté sérieuse de la question posée
Il est relaté ci-après les situations dans lesquelles le juge de l'impôt a décidé que cette condition n'était pas réalisée et a refusé le renvoi pour question préjudicielle :
a. Refus de renvoi fondé sur le fait que l'acte ou la disposition dont l'interprétation est nécessaire est suffisamment clair par lui-même
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Ainsi, il appartient au juge de l'impôt de trancher lui même la question de savoir quand est intervenu le fait générateur de l'imposition contesté.
En ce sens, dans une affaire où était en cause une imposition établie au titre de l'ancien article 150 ter du CGI, dès lors que la date de cession à retenir pour l'application de ce texte ressort clairement de l'acte passé entre les parties (CE, 11 octobre 1974, n°92921).
b. Refus de renvoi fondé sur le fait que le requérant ne présente aucun moyen suffisamment précis et sérieux de nature à justifier le renvoi pour question préjudicielle
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Ainsi jugé à l'occasion de contestations portant sur :
- la régularité de la procédure d'imposition :
Ainsi, le redevable critiquant la régularité de la procédure par laquelle l'Administration fiscale a eu connaissance de sa comptabilité occulte saisie par le service de la police judiciaire, le juge administratif peut statuer dès lors qu'il n'est soulevé à l'encontre des opérations de contrôle effectuées par ledit service, aucun moyen assez sérieux pour justifier le renvoi pour question préjudicielle devant l'autorité judiciaire (CE, arrêt du 13 novembre 1968, n°60843).
- le droit de propriété :
Jugé également que lorsqu'il est saisi d'un recours en excès de pouvoir dirigé contre le refus opposé par le chef du service du Cadastre de modifier une inscription cadastrale, le juge administratif ne peut que rejeter la demande sans surseoir à statuer dès lors que la décision attaquée est régulière à défaut de publication préalable au fichier immobilier d'un acte ou d'une décision judiciaire (CE, arrêt du 11 juin 1975, n°92149).
C. Nécessité de résoudre la question pour la solution du litige
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Pour qu'il y ait question préjudicielle il faut que la réponse à cette question soit nécessaire à la solution même du litige.
En ce sens : CE, arrêt du 13 juillet 1966, n°61085, cf. § 200.
Dans le cas contraire il n'y a pas lieu à renvoi d'une telle question sur une autre juridiction et le Conseil d'Etat aussi bien que la Cour de cassation annulent les jugements de sursis à statuer rendus à tort par les tribunaux administratifs ou de grande instance.
Ainsi :
- le tribunal de grande instance saisi en application de l'ancien article 1371 du CGI (actuellement art. 1594-0 G du CGI) d'une demande d'exonération définitive de droits de mutation à titre onéreux sur une acquisition de terrain à bâtir n'avait pas à renvoyer les parties devant la juridiction administrative pour statuer sur une question afférente à un permis de construire que la société requérante n'avait pas portée au débat (Cass. com., 10 juin 1976, RJ III, p. 121) ;
- le tribunal de grande instance seul compétent en matière de droits de timbre n'avait pas à surseoir à statuer afin que la juridiction administrative interprète un acte administratif individuel concernant le classement d'une voie publique (Cass. com., arrêt du 7 novembre 1983, n° 82-12933, cf. I A 2).
II. Conséquences des questions préjudicielles
Les conséquences des questions préjudicielles doivent être examinées à l'égard du juge du fond et de l'autorité à laquelle la question est renvoyée.
A. Conséquences des questions préjudicielles à l'égard du juge du fond
1. Obligation de surseoir à statuer
240
Lorsque, devant le juge de l'impôt s'élève une question préjudicielle étrangère à sa compétence, le juge est tenu de surseoir à statuer jusqu'à ce que la question ait été tranchée par la juridiction compétente.
Si, à l'appui d'un recours, sont présentés divers moyens dont l'un donne lieu à question préjudicielle, le juge statue généralement sur les autres moyens avant de prononcer le sursis.
Le jugement ne précise pas toujours quelle est l'autorité compétente. C'est aux parties qu'il appartient de choisir cette autorité et de la saisir, compte tenu des éléments du litige. À cet effet, le juge impartit un certain délai.
2. Fixation d'un délai aux fins de saisir la juridiction compétente
a. Délai de saisine
250
Généralement, le jugement de sursis à statuer fixe un délai (le plus souvent deux mois devant le Conseil d'Etat) dans lequel la partie intéressée doit justifier de ses diligences à saisir l'autorité compétente.
Parfois, le juge de l'impôt renvoie la partie « la plus diligente » devant la juridiction compétente. Mais il peut également renvoyer une partie nommément désignée en lui fixant un délai déterminé.
En ce sens : CE, arrêt du 6 décembre 1967, n°70626.
b. Conséquences du défaut de saisine de l'autorité compétente dans le délai imparti
260
Lorsque la partie intéressée c'est-à-dire le plus souvent le contribuable ne peut justifier de ses diligences à saisir la juridiction compétente dans le délai qui lui a été assigné, le juge doit purement et simplement rejeter ses prétentions
Ainsi :
- une personne, qui s'était portée caution conjointe et solidaire du paiement de droits et intérêts de retard dus en matière de taxes sur le chiffre d'affaires par une société, ayant formé opposition aux actes de poursuites engagés à son encontre, en contestant l'obligation résultant pour elle du cautionnement, et le tribunal administratif lui ayant imparti un délai d'un mois aux fins de saisir la juridiction compétente pour apprécier son obligation, c'est par une juste application des dispositions de l'ancien article 1846 du CGI (transféré sous les articles L281 du LPF et L282 du LPF) et sans excéder les limites de sa compétence que le tribunal administratif, constatant par la suite que la personne en cause n'avait pas saisi la juridiction compétente dans ledit délai, ne retient pas le moyen tiré de la prétendue inexistence de l'obligation résultant du cautionnement accordé (CE, arrêt du 6 décembre 1967, n°70626) ;
- lorsqu'un contribuable, qui se prétend propriétaire d'un véhicule automobile, n'a pas, dans le délai imparti à cet effet par le tribunal administratif à la partie la plus diligente, saisi l'autorité judiciaire compétente pour trancher cette question de propriété, il doit être regardé comme n'ayant pas apporté la preuve du droit dont il se prévalait devant la juridiction administrative (CE, arrêt du 16 juin 1967, n°70108). Il en est de même nonobstant l'appel du contribuable devant le Conseil d'Etat contre le jugement du tribunal administratif qui sursoit à statuer pour question préjudicielle ;
- la circonstance que le contribuable s'est pourvu devant le Conseil d'Etat contre le jugement du tribunal administratif le mettant en demeure de faire trancher par l'autorité judiciaire la question de propriété ne saurait, à défaut d'effet suspensif de sa requête, le dispenser d'exécuter les obligations résultant dudit jugement. Le tribunal administratif est, dès lors, fondé à rejeter sa demande lorsqu'il n'a pas fourni, à l'expiration du délai qui lui avait été assigné, les justifications prescrites (CE, arrêt du 20 avril 1942, requêtes n°s 46.313 et 53.035, RO, p. 104).
3. Autorité de la décision rendue sur la question préjudicielle
270
Lorsqu'une des parties rapporte une décision ayant force de chose jugée et tranchant la question préjudicielle, le juge de l'impôt statue en faisant application de la décision en cause.
Mais il ne doit pas se fonder sur cette décision dans la mesure où elle ne peut être regardée comme fournissant une réponse définitive à la question posée, auquel cas le jugement rendu devrait être annulé.
B. Conséquences des questions préjudicielles à l'égard de l'autorité saisie
Ces conséquences sont relatives à la nature de l'autorité saisie, à la procédure de saisine et aux limites de la compétence de l'autorité saisie.
1. Nature de l'autorité saisie
280
L'autorité compétente pour statuer sur la question préjudicielle est nécessairement un tribunal (cf. I A 3). Le tribunal compétent pour se prononcer sur la question préjudicielle est normalement celui qui aurait eu à connaître de la question par la voie d'une action principale.
2. Procédure de saisine
290
La décision de sursis à statuer rendue par le juge du fond n'est pas suffisante pour saisir l'autorité à laquelle la question préjudicielle est renvoyée.
Par conséquent, l'une des parties, ou la partie nommément désignée, doit présenter des conclusions devant l'autorité compétente pour que celle-ci statue sur ladite question. Par ailleurs, aucune autre personne que les parties en cause ne peut saisir une juridiction d'une question préjudicielle.
Il sera observé que si la question est renvoyée devant une juridiction de l'ordre judiciaire, c'est la procédure de droit commun avec appel possible qui s'applique devant cette juridiction et non la procédure spéciale prévue en matière fiscale.
3. Limites de la compétence de l'autorité saisie
300
La compétence de l'autorité à laquelle est renvoyée la question préjudicielle est strictement limitée à l'examen de la question préjudicielle et ne peut être étendue à d'autres éléments du litige.