CTX - Contentieux de l'assiette de l'impôt - Dispositions communes - Sursis à statuer
I. Présentation du sursis à statuer
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Le sursis à statuer est la décision par laquelle un Tribunal remet à une date ultérieure l'examen et le jugement d'une affaire.
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Dans le contentieux judiciaire de l'impôt, en l'absence de disposition fiscale particulière, il y a lieu de considérer que c'est le droit commun qui trouve à s'appliquer ).
Le sursis à statuer est rangé parmi les causes de suspension de l'instance par le Code de procédure civile (C. proc. Civ.) qui prévoit que la décision de sursis suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine (C. proc. Civ., art. 378).
Le sursis à statuer ne dessaisit pas le juge. Dès lors, à l'expiration du sursis, l'instance est poursuivie à l'initiative des parties ou à la diligence du juge, sauf la faculté d'ordonner, s'il y a lieu, un nouveau sursis. En outre, le juge peut, suivant les circonstances, révoquer le sursis ou en abréger le délai (C. proc. Civ., art. 379).
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Au regard de la procédure à suivre devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, l'article R633-1 du code de justice administrative (CJA) consacré à la demande en inscription en faux contre une pièce produite, prévoit que le Tribunal ou la Cour peut surseoir à statuer sur l'instance principale jusqu'après le jugement du faux par le Tribunal compétent si la partie qui a produit ladite pièce déclare qu'elle entend s'en servir.
Cela étant, la jurisprudence offre un registre varié des diverses circonstances qui peuvent conduire le Tribunal administratif ou la Cour administrative d'appel à prendre une décision de sursis à statuer.
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Enfin, le sursis à statuer dérogeant au principe d'après lequel le juge saisi du litige doit vider ce dernier, la règle est que, sauf exceptions (cf. § 40), le juge du fond n'est jamais tenu de surseoir à statuer.)
II. Caractère facultatif du sursis à statuer
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Le juge de l'impôt (Tribunal de grande instance, Cour d'appel, Tribunal administratif ou Cour administrative d'appel) est donc libre de décider de surseoir à statuer, sauf appel possible de cette décision s'il s'agit du Tribunal administratif ou du Tribunal de grande instance.
Il n'est jamais tenu de le faire à moins, comme précisé ci-après (cf. § 60), qu'une question préjudicielle, qu'une question prioritaire de constitutionnalité ne se pose ou qu'une demande demande d'avis sur une question de droit nouvelle soit transmise aux juridictions suprêmes.
A. Le juge de l'impôt peut décider de surseoir à statuer
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Diverses circonstances peuvent conduire le juge de l'impôt à prendre la décision de suspendre le cours de l'instance. Il en est ainsi notamment lorsque coexistent plusieurs litiges émanant d'un même contribuable qui sont relatifs à des impôts différents mais établis d'après les mêmes bases.
Ainsi le Conseil d'Etat appelé à se prononcer sur le montant de la taxe d'apprentissage due par une entreprise sur les mêmes bases que le versement forfaitaire sur les traitements et salaires de l'année envisagée a sursis à statuer dès lors que ces dernières bases faisaient l'objet d'un litige encore pendant devant le Tribunal administratif (CE, arrêt du 22 mai 1963, n° 46600).
Également, le Conseil d'Etat ordonnant une expertise au sujet des rémunérations servant de base à la taxe sur les salaires, a sursis à statuer sur les demandes du même contribuable relatives à la taxe d'apprentissage et à la participation des employeurs à l'effort de construction, dès lors que pour l'assiette de ces impositions il y avait lieu de se référer aux mêmes rémunérations (CE, arrêt du 21 février 1973, n° 77775 et 78045).
B. Le juge de l'impôt n'est pas tenu, sauf exceptions, de surseoir à statuer
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Quelles que soient les circonstances devant lesquelles il se trouve, le juge de l'impôt n'est jamais tenu de surseoir à statuer.
Les seules exceptions à cette règle sont constituées, ainsi qu'il a déjà été indiqué, par l'existence d'une question préjudicielle (cf. II B 2 a), d'une question prioritaire de constitutionnalité (cf. II B 2 b) ou d'une demande d'avis sur une question de droit nouvelle (cf. II B 2 c).
1. Cas général
Le juge de l'impôt n'est pas tenu de surseoir à statuer :
a. En cas de coexistence d'un litige devant la juridiction administrative et d'une action pénale engagée contre le contribuable
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Lorsqu'il est saisi par le contribuable d'une demande en décharge des impositions dont celui-ci a fait l'objet, le Tribunal administratif n'est pas tenu de surseoir à statuer jusqu'à ce que le juge pénal se soit prononcé sur le bien-fondé des poursuites correctionnelles que l'Administration a engagées contre l'intéressé à raison des mêmes faits.
En effet, aucun principe de droit, ni aucune disposition législative ou réglementaire ne fait une telle obligation au juge administratif ; en particulier la règle selon laquelle l'exercice de l'action civile est suspendu tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique n'est pas applicable aux juridictions administratives (CE, arrêt du 16 janvier 1974, n° 89986, RJ, n° IV, p. 12).
Remarque :
La réciproque est également vraie : en matière de fraude fiscale non seulement le juge pénal n'est pas obligé de surseoir à statuer tant que la décision du juge de l'impôt n'est pas intervenue, mais encore il est tenu de ne pas le faire (Cass. crim., 5 juillet 1976, pourvoi n°75-93347 ).
La solution est la même lorsque le Tribunal administratif est saisi d'une demande du directeur tendant à l'application de l'amende et de l'astreinte prévues par l'ancien article 1740-1 du CGI (dont les dispositions ont été partiellement reprises par l'article 1734 du CGI) à un contribuable également poursuivi devant les tribunaux judiciaires pour opposition à contrôle fiscal (CE, arrêt du 29 avril 1957, n° 39.817, RO, p 327).
Dans de tels cas, le Tribunal administratif apprécie librement s'il y a lieu de surseoir à statuer en attendant la solution de l'instance pénale (CE, arrêt du 22 novembre 1972, n° 77490).
b. En cas de coexistence de demandes formées par une société et un associé
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Le Tribunal administratif, saisi en même temps, de demandes formées par une société et par un associé contestant l'un et l'autre la réintégration,regardées comme des revenus distribués au profit de l'associé, n'est pas tenu d'attendre l'issue du litige soulevé par la société pour statuer sur la demande de l'associé
En ce sens : CE, arrêt du 2 juillet 1965, n° 64.528, RO, p. 378.
De même le Tribunal administratif - saisi en même temps, de demandes formées par une société et par un associé contestant la réintégration, l'une dans les bénéfices sociaux, l'autre dans son revenu global, d'allocations forfaitaires pour frais servies à l'associé - peut statuer sur la demande concernant l'imposition personnelle de l'associé, au vu des justifications apportées par celui-ci, sans attendre l'issue du litige soulevé par la société
En ce sens : CE, arrêt du 20 mars 1968, n° 72754, RJ, 2° partie, p. 89.
Remarque :
Le juge de l'impôt peut également dans des cas semblables, surseoir à statuer (cf. n° 50).
c. En cas de coexistence de demandes formées par le même contribuable, l'une au contentieux, l'autre au gracieux
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La circonstance qu'un contribuable a présenté à l'administration une demande en remise gracieuse n'est pas de nature à faire obstacle à ce que le juge de l'impôt statue immédiatement sur la requête dont il est saisi.
En ce sens : CE, arrêt du 7 avril 1970, n°69672.
d. En cas de coexistence de demandes formées par le même contribuable, l'une relative aux taxes sur le chiffre d'affaires, l'autre relative aux impôts directs
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Aucune disposition législative ou réglementaire n'oblige le Tribunal administratif à surseoir à statuer sur un litige dont il est saisi en matière d'impôt sur le revenu jusqu'à ce qu'il ait rendu son jugement dans une autre instance introduite par le même contribuable en matière de taxes sur le chiffre d'affaires alors même que le service aurait pour l'évaluation du chiffre d'affaires de l'intéressé, retenu des procédés identiques
En ce sens : CE, arrêt du 29 juin 1966, n° 64276, RO, p. 200.
e. En cas d'appel d'un jugement avant-dire droit
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Le Tribunal administratif n'est pas tenu de surseoir à statuer sur le fond de l'affaire jusqu'à ce que le Conseil d'Etat se soit prononcé sur l'appel dont il est saisi contre le jugement avant-dire droit par lequel ledit Tribunal avait rejeté les moyens du contribuable relatifs à la régularité de la procédure d'imposition et ordonné une expertise.
En ce sens : CE, arrêt du 20 octobre 1967, n° 71847.
Remarque :
Les principes dégagés par l'arrêt susvisé peuvent être transposés en cas de requête devant la cour administrative d'appel.
2. Dérogations
a. Question préjudicielle
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Lorsque le juge, saisi au fond du litige, a retenu l'existence d'une question préjudicielle, il est contraint de surseoir à statuer, et de renvoyer à l'autorité compétente la solution à cette question ( cf. BOI-CTX-DG-20-60-20).
b. Question prioritaire de constitutionnalité
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Les juges du fond sont également tenus de surseoir à statuer en cas de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité à la juridiction suprême dont ils relèvent (cf. BOI-CTX-DG-20-60-10, § 250 à 260, et 360).
En principe, le mécanisme prévu par l'article 23-3 de la loi organique sur le Conseil constitutionnel (LO CC) impose à chaque étape de la procédure qu'il soit sursis à statuer sur le litige jusqu'à la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel (LO CC, art. 23-3, al. 1).
Ainsi, si la juridiction de première instance statue sans attendre et s'il est formé appel de sa décision, la juridiction d'appel sursoit à statuer (LO CC, art 23-3, al. 3). En outre, si un pourvoi en cassation a été introduit alors que les juges du fond se sont prononcés sans attendre, il est sursis à toute décision sur le pourvoi tant qu'il n'a pas été statué sur la question prioritaire de constitutionnalité. (LO CC, art. 23-3, al.5, 1ère phrase).
En pareil cas, le cours de l'instruction n'est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires.
Des exceptions sont toutefois prévues à la mise en œuvre du sursis à statuer.
Ainsi, il n'y pas lieu de surseoir à statuer lorsqu'une personne est privée de liberté à raison de l'instance ou lorsque l'instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté (LO CC, art 23-3, al. 2).
Si la loi ou le règlement prévoit que la juridiction intervenant en première instance ou en appel doit statuer dans un délai déterminé ou en urgence, elle n'est pas tenue d'attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité (LO CC, art 23-3,al. 3).
En outre, lorsque le sursis à statuer risquerait d'entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d'une partie, la juridiction qui décide de transmettre la question peut statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés (LO CC, art. 23-3, al. 4).
Lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi, le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation sursoit à statuer jusqu'à ce qu'il se soit prononcé (LO CC, art. 23-5, alinéa 4).
c. Demande d'avis sur une question de droit nouvelle
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Enfin, les juges du fond sont dans l'obligation de surseoir à statuer en cas de demande d'avis sur une question de droit nouvelle transmise :
- à la Cour de cassation, par les juridictions de l'ordre judiciaire, en application des dispositions des articles 1031-1 à 1031-7 du C. proc. Civ. ;
- au Conseil d'Etat, par les juridictions de l'ordre administratif, en application des dispositions de l'article L113-1 du CJA ;
III. Effets du sursis à statuer et voies de recours
A. Effets du sursis à statuer
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La décision de sursis à statuer suspend le cours de l'instance jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle mentionne comme terme, lequel est en général une décision d'une autre juridiction.
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Le juge n'est pas dessaisi en cas de sursis à statuer. Lorsque l'événement en cause est intervenu, l'instance est poursuivie, devant la même juridiction, à l'initiative des parties ou à la diligence du juge.
B. Voies de recours contre les décisions de sursis à statuer
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Les jugements des tribunaux administratifs ou les arrêts des cours administratives d'appel ordonnant ou refusant le sursis à statuer sont des décisions avant-dire droit qui, comme toutes les décisions de cette nature, lorsqu'elles sont susceptibles de faire grief, peuvent donner lieu à appel devant la cour administrative d'appel (pour les jugements des tribunaux administratifs) ou à un recours en cassation (pour les arrêts des cours administratives d'appel et les jugements rendus en dernier ressort).
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S'agissant des décisions rendues par les tribunaux de grande instance, il résulte des termes de l'article 380 du C. proc. Civ. que la décision de sursis à statuer peut être frappée d'appel sur autorisation du premier président de la cour d'appel s'il est justifié d'un motif grave et légitime.
Pour ce faire, la partie qui veut faire appel saisit le premier président, qui statue dans la forme des référés. L'assignation doit être délivrée dans le mois de la décision.
S'il fait droit à la demande, le premier président fixe le jour où l'affaire sera examinée par la cour, laquelle est saisie et statue comme en matière de procédure à jour fixe ou, comme il est dit à l'article 948 du C. proc. Civ., selon le cas.
Par ailleurs, en application des dispositions de l'article 380-1 du C. proc. Civ., les décisions de sursis à statuer rendues en dernier ressort par les cours d'appel peuvent être attaquées par la voie du pourvoi en cassation, mais seulement pour violation de la règle de droit.