TVA - Champ d'application et territorialité - Opérations imposables par disposition expresse de la loi - Livraisons à soi-même de biens et de services
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La livraison à soi-même est l'opération par laquelle une personne obtient, avec ou sans le concours de tiers, un bien ou une prestation de services à partir de biens, d'éléments ou de moyens lui appartenant.
Ainsi, une personne se livre à elle-même un immeuble bâti lorsque, possédant un terrain, elle y fait élever une construction à l'aide de matériaux qui deviennent sa propriété au fur et à mesure des travaux et ce, quelle que soit l'importance de la participation de tiers (architectes, entrepreneurs). Lorsque l'immeuble ainsi bâti est destiné à être utilisé pour la réalisation d'opérations soumises à la TVA, une telle livraison à soi-même doit faire l'objet d'une imposition à cette taxe en vertu des dispositions du I de l'article 257 du code général des impôts (CGI).
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D'une manière plus générale, le II de l'article 257 du CGI prévoit que sont imposables à la TVA les opérations suivantes assimilées, selon le cas, à des livraisons de biens ou à des prestations de services effectuées à titre onéreux.
Sont assimilés à des livraisons de biens effectuées à titre onéreux :
- le prélèvement par un assujetti d'un bien de son entreprise pour ses besoins privés ou ceux de son personnel ou qu'il transmet à titre gratuit ou, plus généralement, qu'il affecte à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien ou les éléments le composant ont ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la TVA. Toutefois, ne sont pas visés les prélèvements effectués pour les besoins de l'entreprise pour donner des cadeaux de faible valeur et des échantillons. Le montant à retenir pour l'imposition de ces prélèvements est fixé par arrêté (cf. article 23 N de l'annexe IV au CGI). Cette limite s'applique par objet et par an pour un même bénéficiaire ;
- l'affectation par un assujetti aux besoins de son entreprise d'un bien produit, construit, extrait, transformé, acheté, importé ou ayant fait l'objet d'une acquisition intracommunautaire dans le cadre de son entreprise lorsque l'acquisition d'un tel bien auprès d'un autre assujetti, réputée faite au moment de l'affectation, ne lui ouvrirait pas droit à déduction complète parce que le droit à déduction de la taxe afférente au bien fait l'objet d'une exclusion ou d'une limitation ou peut faire l'objet d'une régularisation ; cette disposition s'applique notamment en cas d'affectation de biens à des opérations situées hors du champ d'application de la TVA ;
- l'affectation d'un bien par un assujetti à un secteur d'activité exonéré n'ouvrant pas droit à déduction, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la TVA lors de son acquisition ou de son affectation conformément à l'alinéa ci-dessus ;
- la détention de biens par un assujetti ou par ses ayants droit en cas de cessation de son activité économique taxable, lorsque ces biens ont ouvert droit à déduction complète ou partielle lors de leur acquisition ou de leur affectation conformément au deuxième alinéa.
Sont assimilées à des prestations de services effectuées à titre onéreux :
- l'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise pour les besoins privés de l'assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la TVA ;
- les prestations de services à titre gratuit effectuées par l'assujetti pour ses besoins privés ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise.
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Les articles 173 à 175 de l'annexe II au CGI complètent le II de l'article 257 du CGI en précisant les cas d'imposition des livraisons à soi-même ainsi que le moment où la taxe devient exigible.
Enfin, il est rappelé que la taxe afférente à une livraison à soi-même est déductible partiellement ou totalement de celle due au titre des opérations imposables (ou assimilées à des opérations imposables) de l'entreprise, sauf si le bien ainsi livré est exclu du droit à déduction en raison de sa nature ou s'il est affecté, à l'occasion de cette livraison, à d'autres besoins que ceux de l'entreprise (dans la mesure où l'affectation à des besoins autres que ceux de l'entreprise a eu lieu dès l'acquisition du bien) ou à une activité exonérée.
I. Définitions
A. Assujettis concernés
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L'imposition de la livraison à soi-même est exigible des assujettis dont l'activité comporte, pour tout ou partie, la réalisation soit d'opérations imposables, soit d'opérations exonérées ou non imposables mais ouvrant droit à déduction (opérations relevant du commerce extérieur).
En revanche, les personnes, qui réalisent exclusivement des opérations non imposables (opérations réalisées par des non-assujettis et donc placées en dehors du champ d'application de la TVA) ou des opérations exonérées autres que celles qui ouvrent droit à déduction, ne sont pas tenues de procéder à l'imposition des livraisons à soi-même. De même, ne sont pas imposables les livraisons à soi-même effectuées exclusivement dans le cadre d'une activité totalement non imposable et constituant un secteur distinct des autres activités d'un assujetti, au sens des dispositions de l'article 209 de l'annexe II au CGI.
B. Biens et services dont la livraison à soi-même est susceptible d'être imposée
1. Biens dont la livraison à soi-même est susceptible d'être imposée
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Ces biens appartiennent à deux catégories :
- biens, achetés ou importés, utilisés en l'état pour des besoins autres que ceux de l'entreprise ;
- autres biens, c'est-à-dire les biens extraits, fabriqués ou transformés par l'assujetti. Un bien est réputé extrait ou fabriqué ou transformé par l'entreprise quelle que soit l'importance des biens et services acquis auprès de tiers en vue de l'extraction, de la fabrication ou transformation. Ainsi en matière immobilière, il y a fabrication ou transformation même si l'assujetti fait exclusivement appel à des concours extérieurs en vue de réaliser ces opérations (façonniers ou entrepreneurs de travaux immobiliers).
En revanche, lorsque l'utilisation d'un bien acheté et destiné à être utilisé en l'état requiert certaines prestations accessoires faites par des tiers, telles que le transport, la manutention ou l'installation de matériels, ces opérations ne lui font pas perdre son caractère de bien acheté.
2. Services dont la prestation à soi-même est susceptible d'être imposée
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La livraison à soi-même de services ou « prestation de services à soi-même » est l'opération par laquelle une personne obtient une prestation de services à partir de biens, d'éléments ou de moyens lui appartenant, que cette personne fasse appel ou non à des tiers pour tout ou partie de l'élaboration de la prestation.
L'imposition des prestations de services à soi-même prévue au II-2 de l'article 257 du CGI n'est exigée que si :
- ces prestations sont faites pour des besoins autres que ceux de l'entreprise et notamment pour les besoins privés de ses dirigeants, de son personnel ou de tiers ;
- et la TVA afférente aux biens ou éléments utilisés pour rendre ces prestations était partiellement ou totalement déductible lors de leur acquisition.
II. Livraisons à soi-même de biens affectés à des besoins autres que ceux de l'entreprise
A. Définition des besoins autres que ceux de l'entreprise
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Le II-1-1° de l'article 257 du CGI définit ces besoins comme étant ceux des dirigeants ou du personnel de l'entreprise ou ceux de tiers.
En effet, l'utilisation ou l'acquisition à titre gratuit par ces personnes excluent l'affectation matérielle de ces biens à la réalisation de livraisons ou de prestations de service effectuées à titre onéreux. Elles ne sont donc pas effectuées pour les besoins de l'entreprise.
Cette définition découle des 1° à 5° du 2 du IV de l'article 206 de l'annexe II au CGI.
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La notion de besoins de l'entreprise est ici plus restreinte que celle retenue pour l'imposition des bénéfices et qui englobe toute dépense se rattachant à la gestion de l'entreprise ou exposée dans l'intérêt de l'exploitation.
La détermination du bénéfice net suppose, en effet, la prise en compte de toute dépense nécessaire à l'obtention de ce bénéfice, y compris notamment les avantages en nature et les dons. Par contre, le caractère d'impôt sur la consommation finale de la TVA conduit à n'admettre en déduction que la taxe afférente aux achats de biens et services utilisés au sein de l'entreprise en vue de la réalisation d'opérations imposables ou assimilées et à maintenir ou à appliquer l'impôt aux biens et services qui font l'objet, soit d'une utilisation extérieure, soit d'une consommation finale même effectuée au sein de l'entreprise.
B. Cas d'imposition
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Les livraisons à soi-même de biens utilisés pour des besoins autres que ceux de l'entreprise sont imposables à la TVA, que l'entreprise les ait elle-même fabriqués ou construits (ou fait fabriquer ou construire) ou qu'elle les ait acquis et livrés à soi-même en l'état.
L'article 173 de l'annexe II au CGI limite l'imposition des livraisons à soi-même de biens effectués pour des besoins autres que ceux de l'entreprise au seul cas où la taxe qui a grevé l'acquisition ou l'importation de ces biens ou des biens et services utilisés pour leur fabrication était partiellement ou totalement déductible lors de cette acquisition ou importation.
Lorsqu'un bien ou service est, dès son acquisition ou importation, affecté à des besoins autres que ceux de l'entreprise, la taxe y afférente n'est pas déductible, conformément aux 1° à 5° du 2 du IV de l'article 206 du CGI déjà cités, de sorte qu'ultérieurement, il n'y a pas matière à imposition de la livraison à soi-même.
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En revanche, la livraison à soi-même est imposable si les biens et services en cause, lors de leur acquisition ou importation, étaient destinés à la réalisation d'opérations ouvrant droit à déduction, que la déduction ait été totale ou partielle ou qu'elle ait été ou non effectivement exercée.
Tel serait le cas, par exemple, de l'opération consistant, pour un fabricant ou un revendeur d'appareils de télévision ou de machines-outils, à céder gratuitement à un client, un fournisseur ou un de ses salariés un appareil ou une machine prélevés dans ses stocks, ou même sans les céder ni les exclure du stock comptable, à leur en laisser gratuitement la jouissance (sauf pour une courte durée en vue de l'essai ou de la démonstration) et quand bien même l'acquéreur ou l'utilisateur de ces biens les affecterait à la réalisation d'opérations imposables (location, fabrication d'objets).
Tel serait encore le cas d'un constructeur d'immeubles qui se réserverait la jouissance d'un local ou bâtiment à des fins autres que la vente (habitation personnelle, logement gratuit de son personnel). Toutefois, il est souligné que s'il l'affectait en tant qu'immobilisation à la réalisation d'opérations imposables (location par exemple), une telle livraison à soi-même serait passible de la TVA en vertu des dispositions du I-1°-a de l'article 257 du CGI.
En résumé, est imposable tout prélèvement, utilisation ou affectation à des fins autres que les besoins de l'entreprise, de biens compris dans les stocks et dont la taxe y afférente a fait l'objet d'une déduction totale ou partielle.
C. Cas particuliers
1. Entreprises servant des repas gratuitement à leur personnel
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Les entreprises qui servent gratuitement des repas à leur personnel doivent se conformer aux règles suivantes :
- les entreprises ont la possibilité de réintégrer, pour son montant exact, la TVA comprise dans le coût de revient des repas servis gratuitement, à la condition de pouvoir en justifier à partir des données comptables propres à leur entreprise ;
- lorsque cette justification ne peut être apportée, la TVA qui n'ouvre pas droit à déduction peut être calculée de la manière suivante :
-
le prix de revient hors taxe d'un repas servi gratuitement au personnel est réputé égal à une fois le minimum garanti lorsque la rémunération du salarié n'excède pas le plafond de la Sécurité sociale et à une fois et demie si elle est supérieure,
-
ce prix de revient est réputé correspondre, à concurrence de 85 %, à des denrées taxées au taux réduit et à concurrence de 15 %, à des produits taxés au taux normal.
2. Prélèvements effectués pour les besoins privés normaux du chef d'une entreprise individuelle
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Les prélèvements de biens effectués pour les besoins privés normaux du chef d'une entreprise individuelle ne sont pas considérés comme des livraisons à soi-même imposables.
Les besoins privés normaux du chef d'entreprise s'entendent également des besoins des membres de la famille à la charge du redevable. Cependant, la dispense ne concerne ni les biens dont l'importance serait manifestement exagérée au regard du nombre de personnes vivant au foyer, ni les immeubles. S'agissant toutefois des immeubles, l'imposition n'est exigible que si la taxe afférente à l'acquisition de l'immeuble ou des biens et services acquis en vue de sa construction pouvait faire l'objet d'une déduction.
Par ailleurs, les prélèvements effectués au profit d'autres personnes, et notamment des dirigeants d'entreprises constituées en société, ne bénéficient pas de la dispense.
L'absence d'imposition des prélèvements bénéficiant de la dispense rend obligatoire la régularisation des déductions initialement opérées lors de l'acquisition des biens prélevés ou de celle des biens et services qui ont été nécessaires à leur fabrication.
3. Dons de biens consentis à des organismes sans but lucratif, à vocation humanitaire, charitable et philanthropique
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En application de l'article 257, II-1-1° du CGI, les entreprises assujetties à la TVA doivent procéder à la livraison à soi-même des biens qu'elles prélèvent dans leurs stocks pour les affecter à des fins autres que leurs besoins.
Cependant, certaines associations sans but lucratif, dont la gestion est désintéressée exportent des biens dans le cadre de leur activité humanitaire ou charitable. Outre le fait que ces associations peuvent acquérir ces biens en franchise de taxe (cf. BOI-TVA-CHAMP-30-30-50-10), il est admis de ne pas faire application des dispositions de l'article 257, II-1-1° du CGI et de l'article 207, VI de l'annexe II au CGI en cas de dons effectués aux mêmes fins.
Ainsi, les entreprises donatrices sont dispensées :
- d'imposer les dons consentis à des organismes sans but lucratif pour la réalisation d'une mission de caractère humanitaire, charitable et philanthropique à l'étranger ;
- de reverser la TVA effectivement déduite lors de l'acquisition des biens prélevés ou de biens et services qui ont été nécessaires à leur fabrication.
Le bénéfice de cette mesure est subordonné à la remise par les associations chargées de l'expédition des produits et matériels d'attestations visées par le service des Impôts, qui certifient que les biens sont destinés à être exportés et qui comportent l'engagement d'acquitter la TVA exigible au cas où l'exportation ne serait pas réalisée.
Ces dispositions sont applicables, quel que soit le pays étranger concerné.
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Enfin, le régime prévu pour les dons à destination de l'étranger est étendu aux dons consentis en France à des fondations ou associations reconnues d'utilité publique présentant un intérêt général de caractère humanitaire, éducatif, social ou charitable.
Cette mesure est subordonnée à des conditions formelles identiques à celles retenues pour l'exportation des biens.
À cet effet, les organismes bénéficiaires des dons doivent délivrer aux entreprises des attestations dont ces dernières conservent un double. Ces attestations comportent les mentions suivantes :
- nom, adresse et objet de l'association ou fondation ;
- date du décret de reconnaissance d'utilité publique avec la référence au Journal officiel ;
- nom et adresse de l'entreprise donatrice ;
- inventaire détaillé des marchandises données.
Les entreprises donatrices conservent ces attestations à l'appui de leur comptabilité.
4. Cessation de l'activité imposable
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La cessation d'activité doit être distinguée de la cession. En effet, la cession de l'entreprise emporte transfert de l'entreprise à titre onéreux ou gratuit, avec poursuite de l'activité. En revanche, la cessation d'activité s'entend d'une manière générale de l'abandon de l'ensemble de l'activité industrielle ou commerciale.
Elle résulte de la fermeture définitive de l'entreprise individuelle ou de la dissolution de la société, soit volontairement, soit dans le cadre d'une procédure judiciaire. Il est rappelé qu'en principe il y a cessation d'activité à partir de la date à laquelle l'assujetti cesse d'offrir au public des services ou des biens à la vente, date qui coïncide généralement avec la fermeture des magasins, ateliers, bureaux. Ainsi, conformément à la jurisprudence du Conseil d'État, une entreprise dont l'objet est de vendre des marchandises doit être considérée comme ayant cessé son activité au plus tard à la date à laquelle elle a vendu la totalité de son stock de marchandises (cf. BOI-TVA-DED-50-20-20-II § 130).
Les biens d'investissement existant dans l'entreprise à la date de la cessation d'activité doivent faire l'objet de la régularisation prévue à l'article 210 de l'annexe II au CGI s'ils ne sont pas réalisés ou prélevés à cette date.
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Toutefois, en cas de procédure d'apurement collectif du passif, il convient désormais de considérer que la cessation d'activité intervient en matière de TVA à la date à laquelle les stocks sont cédés ou à la date à laquelle tous les biens mobiliers d'investissement sont cédés ou mis au rebut, si celle-ci est postérieure.
Les biens mobiliers d'investissement qui sont prélevés lors de la cessation d'activité de l'assujetti font l'objet d'une taxation au titre de la livraison à soi-même, dès lors que ces biens ont ouvert droit à déduction totale ou partielle de la taxe. Dans cette situation, il n'y a pas lieu à régularisation de la TVA déduite antérieurement.
À défaut d'avoir constaté la cessation d'activité, l'administration peut toutefois exiger la régularisation des droits à déduction prévue à l'article 210 de l'annexe II au CGI en cas de cessation d'opérations imposables (« entreprise en sommeil »). La cession ultérieure des biens d'investissement qui ont fait l'objet de cette régularisation n'est pas soumise à la TVA.
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Le fait pour un assujetti qui cesse son activité de conserver son stock pour son usage constitue une opération de livraison à soi-même imposable, sauf si cette opération peut s'inscrire dans le cadre des dispositions prévues au II-C-2 § 110 relatives aux prélèvements effectués pour les besoins privés normaux du chef d'une entreprise individuelle (CGI, art. 257, II-1-4°).
Il est précisé que cette imposition ne concerne pas les biens immeubles qui demeurent passibles des régularisations « globales » prévues à l'article 207, III-1 de l'annexe II au CGI (cf. BOI-TVA-DED-60-20).
La perte de la qualité d'assujetti d'une entreprise qui n'a pas concrétisé son intention déclarée de réaliser des opérations ouvrant droit à déduction emporte les conséquences d'une cessation d'activité (cf. BOI-TVA-DED-50-20-10 au II-E-3).
5. Taxation des livraisons à soi-même d'immobilisations affectées à des besoins autres que ceux de l'entreprise
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La taxation des livraisons à soi-même prévue à l'article 257, II-1-1° du CGI est exigible pour les prélèvements, utilisations, affectations de biens mobiliers d'investissement à des besoins autres que ceux de l'entreprise, lorsque ces biens ont ouvert droit à déduction.
Les situations concernées font l'objet de développements ci-après, cf. BOI-TVA-CHAMP-10-20-30.
III. Prestations de services à soi-même
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Suite à l'arrêt du Conseil d'État du 3 février 1989, (n° 74059, compagnie Alitalia), les prestations de services à soi-même sont imposables à la TVA lorsqu'elles sont faites pour des besoins autres que ceux de l'entreprise.
Sont considérés comme recouvrant des besoins autres que ceux de l'entreprise :
- les services qui bénéficient en fait personnellement au chef d'entreprise, à ses dirigeants, à des membres du personnel ;
- les services relatifs à des biens meubles ou immeubles non affectés à l'exploitation ;
- les services constituant des libéralités ou des dépenses d'agrément dont le rapport avec l'objet de l'entreprise ne serait pas établi.
A. Utilisation d'un bien, affecté à l'entreprise, pour les besoins privés de l'assujetti ou de son personnel ou à des fins étrangères à son entreprise
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Il y a prestation de services à soi-même imposable lors de l'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise pour les besoins privés de l'assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la TVA (CGI, art. 257, II-2-1°).
La TVA afférente aux biens ou éléments utilisés pour rendre les services doit donc être partiellement ou totalement déductible lors de leur acquisition.
La taxe afférente aux biens et services est admise en déduction si ces éléments sont utilisés pour la réalisation d'opérations imposables qui ouvrent droit à déduction (CGI, ann. II, art. 206, II et III) et ne font pas l'objet d'une exclusion spécifique (CGI, ann. II, art. 206, IV-2).La taxation des prestations de services à soi-même n'est donc pas exigée lorsque la taxe grevant les biens et services nécessaires à la réalisation de la prestation ne pouvait pas faire l'objet d'une déduction. Il en est ainsi :
- lorsqu'un bien ou service est affecté dès son acquisition à des besoins autres que ceux de l'entreprise (ex. : dépenses de traiteur prises en charge par une entreprise pour les besoins d'un repas privé du chef d'entreprise) ou à une utilisation exclue du droit à déduction (ex. : dépenses de location d'un véhicule de tourisme) ;
- lorsque les biens et services utilisés pour rendre les services à soi-même sont tous exclus du droit à déduction. Ainsi dès lors que la taxe afférente à un véhicule de tourisme de société est exclue du droit à déduction, le service à soi-même correspondant à l'utilisation privative du bien n'est pas imposable à la TVA.
Remarque :Il est admis de ne pas soumettre à la TVA la valeur de l'utilisation privée d'un véhicule qu'un exploitant de taxi affecte à des déplacements personnels pendant ses jours de repos.
De même la livraison à soi-même ne s'applique pas aux repas servis gratuitement par les entreprises à leur personnel dès lors que les produits et denrées sont exclus du droit à déduction lors de leur achat (cf. II-C-1 § 100) ;
- lorsqu'un assujetti réalise des opérations n'ouvrant pas droit à déduction de la taxe ;
- lorsque la prestation à soi-même est effectuée par un assujetti exonéré ou dans le cadre d'une activité non imposable constituant un secteur distinct des autres activités d'un assujetti, au sens des dispositions du I de l'article 209 de l'annexe II au CGI.
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Lorsqu'un bien qui a ouvert droit à déduction totale ou partielle de la TVA, est ensuite utilisé pour les besoins privés de l'assujetti, de son personnel ou pour des usages étrangers à l'entreprise, il n'y a pas lieu de procéder à la régularisation de la taxe déduite. Mais en revanche, l'article 257, II-2-1° du CGI exige que l'assujetti soumette à la TVA la prestation de service à soi-même qui résulte de cette utilisation.
Exemple : L'utilisation d'un ordinateur pour les besoins privés d'un membre du personnel doit donner lieu à une imposition de la prestation à soi-même calculée sur le prix de revient du service rendu au bénéficiaire.
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L'utilisation s'entend de la disposition du bien pour effectuer une prestation sans qu'il y ait changement d'affectation du bien, auquel cas il y aurait imposition de la livraison à soi-même fondée sur l'article 257, II-1-1° du CGI.
B. Services effectués à titre gratuit par l'assujetti pour ses besoins privés ou ceux de son personnel ou pour des fins étrangères à son entreprise
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Les prestations de services rendues à titre gratuit pour des fins privatives ou plus généralement pour des fins étrangères à l'entreprise sont expressément imposables à la TVA, en application de l'article 257, II-2-2° du CGI, selon les mêmes modalités que celles qui sont décrites aux II-C-4 § 150 à 210.
Exemple : Prestations de conseil rendues gratuitement par un cabinet d'avocats à son dirigeant.
Remarque : La France n'a pas mis en œuvre la disposition de l'article 27 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA. Il en résulte qu'en aucun cas l'utilisation d'un bien pour les besoins de l'entreprise au titre d'opérations situées hors du champ d'application de la TVA n'est susceptible de donner lieu à l'imposition d'une prestation de services à soi-même.
IV. Livraison à soi-même de biens affectés aux besoins de l'entreprise
A. Définition des besoins de l'entreprise
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Sont considérés comme affectés aux besoins de l'entreprise tous les biens destinés à être utilisés en vue de la réalisation de livraisons de biens ou de prestations de services à titre onéreux. Il s'agit des biens compris dans les stocks ou constituant des immobilisations et non affectés en fait à des besoins tels que ceux définis au II-A § 60.
B. Cas d'imposition
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Il résulte de l'article 257, II-1-2°du CGI et 174 de l'annexe II au CGI que seules sont imposables les livraisons à soi-même de biens affectés aux besoins de l'entreprise et susceptibles de faire l'objet d'une exclusion, d'une limitation ou d'une régularisation du droit à déduction en vertu des 2, 3 et 4 du IV de l'article 206 au CGI et de l'article 207 de l'annexe II au CGI.
À cet égard, il y a lieu de distinguer les immobilisations et les autres biens.
1. Biens constituant des immobilisations
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Les biens constituant des immobilisations sont susceptibles de donner lieu à régularisation des droits à déduction en application de l'article 207, II de l'annexe II au CGI, et l'imposition de la livraison à soi-même de tels biens est systématiquement exigée, même si, lors de la livraison, la taxe due sur celle-ci est immédiatement et intégralement déductible.
Remarque :Toutefois, il est rappelé que les immobilisations acquises et utilisées en l'état ne donnent pas lieu à l'imposition de la livraison à soi- même lors de leur acquisition. La taxe afférente à ces immobilisations est déductible selon les règles de droit commun.
Dans la mesure où les immobilisations en cause peuvent atteindre des valeurs élevées, il y a lieu d'attacher une importance particulière à ce cas d'imposition, étant rappelé qu'il ne concerne pas les immobilisations acquises et utilisées en l'état.
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Les livraisons à soi-même d'immeubles bâtis sont imposables en vertu du I de l'article 257 du CGI, ce qui les exclut de l'imposition prévue au II de l'article 257 du CGI. Dès lors, en matière immobilière, sont notamment passibles de cette dernière imposition les travaux d'amélioration (par exemple installation d'un chauffage central ou d'un ascenseur), de transformation ou d'aménagement. Cependant, l'imposition n'est pas exigée pour les réparations « locatives » et les agencements commerciaux.
270
Toutefois, les immeubles grevés de TVA peuvent être concernés par ce cas de livraison à soi-même imposable sur le fondement de l'article 257, II du CGI, lorsqu'ils sont affectés en définitive à une activité imposée à la TVA (par exemple exercice de l'option pour le paiement de la taxe sur les loyers de l'article 260, 2° du CGI) après avoir été utilisés pour une activité exonérée. Pour les immeubles concernés, la taxation de la livraison à soi-même n'est exigée qu'à l'intérieur du délai de vingt ans défini à l'article 207, II-3 de l'annexe II au CGI.
2. Biens ne constituant pas des immobilisations
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En ce qui concerne les biens ne constituant pas des immobilisations, l'imposition de la livraison à soi-même n'est exigée que s'il s'agit :
- de biens exclus du droit à déduction ;
- de biens dont la taxe n'est déductible que partiellement.
a. Biens exclus du droit à déduction
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Parmi ces biens, on peut citer :
- les biens utilisés pour la réalisation d'opérations n'ouvrant pas droit à déduction (article 206, III-2 de l'annexe II au CGI) ;
- les biens qui font l'objet d'une exclusion totale ;
- les biens nécessaires à la réalisation des prestations de services « à soi-même » ayant le caractère de celles visées aux 5° et 10° du IV de l'article 206 de l'annexe II au CGI.
En dehors des cas résultant de l'article 206, III-2 de l'annexe II au CGI (biens faisant l'objet d'une vente exonérée), les autres cas d'imposition doivent être rares dans la mesure où les exclusions en cause concernent le plus souvent des biens constituant des immobilisations (exemple : véhicule conçu pour le transport des personnes et exclu du droit à déduction en vertu du 6° et du 7° du 2 du IV de l'annexe II au CGI, prélevé par un constructeur de tels véhicules en vue de l'utiliser pour les besoins de l'entreprise).
b. Biens susceptibles d'une déduction partielle
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Il s'agit de biens pour lesquels le montant de la taxe déductible est déterminé par application d'un coefficient d'assujettissement ou de taxation unique dans les conditions fixées au 1 du V de l'article 206 de l'annexe II au CGI.
C. Déduction de la taxe due à raison de la livraison à soi-même
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À la différence de la taxe due sur les livraisons à soi-même effectuées pour des besoins autres que ceux de l'entreprise, la taxe due sur les livraisons à soi-même effectuées pour les besoins de l'entreprise peut faire l'objet d'une déduction dans les conditions de droit commun, sous réserve toutefois des exclusions, limitations et régularisations prévues en ce qui concerne les biens en cause, dans les mêmes conditions que s'il s'agissait de biens achetés.
D. Cas particulier : changements d'affectation de biens en stocks, fabriqués par l'entreprise
320
Pour les biens en stocks fabriqués par l'entreprise, l'imposition de la livraison à soi-même n'est pas exigible s'ils sont destinés à une affectation autorisant une déduction totale ou partielle.
Toutefois, ces biens peuvent faire l'objet d'un changement d'affectation, soit dans le cadre d'une même activité, soit à l'occasion d'un transfert entre secteurs d'activités.
330
L'imposition de la livraison à soi-même devient exigible lors du changement, si le bien est désormais utilisé en tant qu'immobilisation ou si, tout en conservant son caractère de bien en stocks, son affectation nouvelle n'autorise aucune déduction. Ainsi, les stocks qui font l'objet d'un changement d'affectation (passage en immobilisation) dans le cadre de la même activité, ou dans le cadre d'un transfert entre secteurs d'activités, doivent toujours faire l'objet d'une taxation de la livraison à soi-même.
340
Le II de l'article 257 du CGI indique expressément que sont également obligatoirement imposées les affectations de biens (marchandises ou immobilisations) à des opérations situées hors du champ d'application de la TVA. L'affectation suppose un changement définitif et exclusif. Lorsqu'il s'agit d'un bien d'investissement il convient de ne pas confondre cette situation avec celle qui s'analyse dans la modification de la proportion de l'utilisation d'un bien d'investissement mixte. Celui-ci reste en effet affecté au sens comptable aux opérations auxquelles il a été originairement destiné mais il est utilisé de manière conjointe aux deux catégories d'opérations : dans le champ et hors du champ d'application de la TVA.
En revanche, si la précédente affectation avait entraîné l'imposition de la livraison à soi-même (bien exclu du droit à déduction ou seulement susceptible d'une déduction partielle) une seconde imposition n'est pas exigible lors du changement d'affectation. Cependant, celui-ci peut donner lieu à des régularisations conformément aux dispositions du II de l'article 207 de l'annexe II au CGI (cf. BOI-TVA-DED-60) compte tenu des données propres à l'affectation nouvelle.
V. Livraisons à soi-même de biens affectés à un secteur d'activité exonéré n'ouvrant pas droit à déduction
350
Ce cas d'imposition figure de manière expresse dans l'article 257, II-1-3° du CGI. Il concerne l'ensemble des biens.
Les redevables qui ont des secteurs imposables et des secteurs d'activité exonérés n'ouvrant pas droit à déduction doivent donc, lorsqu'ils procèdent au changement d'affectation d'un bien qui a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la TVA lors de son acquisition ou de sa précédente affectation, soumettre à la taxe la livraison de ce bien au secteur exonéré n'ouvrant pas droit à déduction.
La taxe due à ce titre n'est bien évidemment pas déductible.
VI. Cas des cadeaux et échantillons
A. Principe : absence de livraison à soi-même imposable pour les cadeaux et échantillons de faible valeur
360
Certains prélèvements ou utilisations des biens des entreprises donnent lieu à des livraisons à soi-même imposables en application du II de l'article 257 du CGI.
Au sein de cette catégorie figurent notamment les biens prélevés pour être donnés en cadeaux dès lors qu'ils ne concourent pas à une opération imposable ou que les prélèvements de ces mêmes biens ne sont pas effectués pour les besoins de l'exploitation.
370
Cependant, l'article 16 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA qui prévoit ce principe d'imposition contient une exception en faveur des échantillons et des cadeaux de faible valeur donnés pour les besoins de l'entreprise. Cette exception est expressément mentionnée à la deuxième phrase du 1° du II de l'article 257 du CGI.
B. Conditions d'application de la non-taxation de la livraison à soi-même
Deux situations doivent être distinguées :
1. Prélèvement dans les stocks de l'entreprise du bien cédé gratuitement
380
Lors de l'acquisition (achat, acquisition intracommunautaire, importation) ou la fabrication de ce bien, les droits à déduction correspondants ont été exercés dans les conditions de droit commun.
Au moment du prélèvement, l'imposition de la livraison à soi-même n'est pas exigée si les deux conditions suivantes, prévues par le II-1° de l'article 257 du CGI sont simultanément remplies :
a. Prélèvement effectué pour les besoins de l'entreprise
390
Si cette condition n'est pas remplie, la livraison à soi-même doit être imposée quelle que soit la valeur du bien. Bien entendu, dans cette situation, la taxe exigible au titre de la livraison à soi-même n'est pas déductible.
Ainsi, par exemple, la livraison à soi-même doit être soumise à la TVA lorsque le bien prélevé dans les stocks de l'entreprise, même de faible valeur, est affecté aux besoins privés des dirigeants de l'entreprise concernée (sous réserve de la mesure de tempérament prise pour les prélèvements effectués par le chef d'une entreprise individuelle (cf. II-C-2 § 110).
b. Prélèvement portant sur un échantillon ou un objet de faible valeur
400
Sur ce point, l'article 257, II-1° du CGI précise que le montant à retenir pour la mise en œuvre de cette disposition est fixé par arrêté. Cette limite qui s'applique par objet et par an pour un même bénéficiaire est également codifié à l'article 23 N de l'annexe IV au CGI (60 € toutes taxes comprises en 2010), qui prévoit, en outre, une réévaluation de cette limite.
2. Achat du bien auprès d'un fournisseur en vue de le céder gratuitement
410
En application des principes posés par les articles 271 à 273 du CGI et 206, IV-2-3° de l'annexe II au CGI, la déduction de la taxe afférente à l'acquisition ou à la fabrication de biens destinés à être cédés gratuitement n'est pas autorisée.
Toutefois, par dérogation à ce principe général la taxe peut être déduite lorsqu'il s'agit de biens de très faible valeur (CGI, ann. II, art. 206, IV-2-3°).
L'article 28-00 A de l'annexe IV au CGI fixe à 60 € toutes taxes comprises (en 2010) par objet et par an pour un même bénéficiaire la valeur maximale de ces biens (cf. BOI-TVA-DED-30-30-50 II § 80).
3. Cas des cadeaux offerts par une entreprise établie en France à un client établi dans un autre État membre de la Communauté
420
Deux situations peuvent se présenter :
- le bien offert au client étranger n'entre pas dans les cas d'exception à la taxation prévue par l'article257, II-1-3° du CGI. Il y a alors taxation de la livraison à soi-même ;
- le bien offert au client étranger entre dans les cas d'exception visés à l'article 257, II-1-3° du CGI. La taxation au titre de la livraison à soi-même n'est alors pas exigée.
Dans les deux cas, la remise des biens au destinataire n'étant pas effectuée à titre onéreux, il n'y a pas livraison de biens au sens de l'article 262 ter, I du CGI.
VII. Livraisons à soi-même de boissons par un débitant-récoltant
430
Les livraisons qu'un débitant se fait à lui-même, en vue de la vente, de boissons qu'il a fabriquées à l'aide de produits de sa récolte sont soumises à la TVA en vertu de l'article 257, II-1-2° du CGI.