Date de début de publication du BOI : 12/09/2012
Identifiant juridique : BOI-CTX-DG-20-30-40

CTX - Contentieux de l'assiette de l'impôt – Dispositions communes - Autorité de la chose jugée - Incidences

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En vertu de l'autorité de la chose jugée, la décision juridictionnelle est considérée comme l'expression du droit.

Dès lors, si la triple identité de l'objet, de la cause et des parties est réalisée, l'autorité de la chose jugée qui s'attache à la décision en cause s'impose au juge.

Il en est ainsi non seulement dans le contentieux judiciaire (devant les tribunaux civils) et administratifs de l'impôt, mais encore au pénal, car la jurisprudence s'inspire à ce sujet des caractères généraux de la chose jugée en matière civile.

La chose jugée, en matière pénale, se traduit par le principe « non bis in idem », c'est-à-dire qu'on ne peut poursuivre deux fois pour le même fait. Le contentieux répressif de l'impôt est soumis à ce principe.

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Indépendamment de l'autorité que la chose jugée est donc susceptible d'avoir à l'intérieur du même ordre de juridiction, elle peut également, dans une certaine mesure, avoir des conséquences pour les juridictions d'un autre ordre.

C'est notamment le cas dans le contentieux fiscal, lorsqu'un contribuable fait à la fois l'objet d'une procédure devant les tribunaux répressifs et d'une procédure devant les tribunaux judiciaires ou administratifs.

Exemple : En matière d'impôts directs et de taxes sur le chiffre d'affaires, un contribuable poursuivi devant les tribunaux correctionnels pour fraude fiscale peut en même temps contester devant le juge de l'impôt les cotisations mises à sa charge. Il en est de même d'un contribuable poursuivi devant les tribunaux répressifs pour contraventions aux lois sur les contributions indirectes, à la législation des droits d'enregistrement ou du timbre.

Dès lors se pose la double question de savoir :

- d'une part dans quelle mesure la chose jugée par les tribunaux répressifs exerce son autorité sur la décision prise par le juge de l'impôt ;

- d'autre part si la chose jugée par le juge de l'impôt a une influence sur le litige au pénal.

I. Influence de la chose jugée au pénal sur les décisions des juridictions administratives et judiciaires (statuant au civil)

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Si, d'une part, les faits constatés par les tribunaux répressifs s'imposent au juge fiscal (ou juge de l'impôt, par opposition au juge statuant au pénal) comme matériellement exacts, il n'en reste pas moins que ce dernier conserve sa liberté d'appréciation pour en tirer les conséquences de droit en ce qui concerne les litiges de sa compétence.

A. Les faits constatés par les tribunaux répressifs s'imposent au juge de l'impôt

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L'autorité de la chose jugée s'attache aux constatations de fait effectuées par la juridiction pénale et lesdites constatations s'imposent au juge de l'impôt.

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Il en résulte, que le contribuable n'est pas recevable à contester devant le juge de l'impôt, l'exactitude des faits constatés par le juge pénal.

Ainsi, dans une instance en matière de fraude fiscale, une société n'est pas recevable à contester devant le juge de l'impôt, l'exactitude des faits constatés par le juge pénal dont la décision est passée en force de chose jugée, alors même que les condamnations prononcées viseraient le président-directeur général et son adjoint et non la société (CE, arrêt du 22 novembre 1972, n° 77490).

Remarque : Cet arrêt a été rendu à une époque où, en matière pénale, la personne morale ne pouvait être poursuivie que par l'intermédiaire des personnes physiques qui la représentaient. Il est toutefois rappelé que depuis le 1er mars 1994, les personnes morales sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants (Code pénal, art 121-2).

De même, un contribuable ayant été déclaré coupable de fraudes fiscales pour avoir volontairement dissimulé une partie des sommes sujettes aux taxes sur le chiffre d'affaires, l'autorité de la chose jugée qui s'attache aux constatations ainsi effectuées par la juridiction répressive fait obstacle à ce que l'intéressé puisse utilement soutenir devant le juge de l'impôt qu'il n'aurait commis aucune dissimulation (CE, arrêt du 7 janvier 1973, n° 85064, RJ, n°IV, p. 19).

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Par ailleurs, le juge de l'impôt doit valablement tenir pour établie la matérialité des constatations effectuées par la juridiction pénale.

Lorsque, par un arrêt devenu définitif, la Cour d'appel a constaté qu'un contribuable avait perçu à l'occasion de ses ventes, des suppléments de prix non portés en recettes dans sa comptabilité, l'autorité de la chose jugée par la juridiction pénale s'attache à ladite constatation et c'est dès lors à bon droit que le tribunal administratif tenant pour établie l'existence des recettes occultes, a ordonné une expertise aux fins d'en déterminer le montant (CE, arrêt du 13 juillet 1967, n° 67559, RJ, 2e partie, p. 182).

Il en va de même en matière de contributions indirectes relevant de la compétence de la DGFiP.

Ainsi il a été jugé qu'un excédent constaté chez un fabricant de vinaigres doit être tenu pour constant au civil s'il a été reconnu exact par un jugement correctionnel passé en chose jugée (Cass. Ch., req. 19 janvier 1914).

B. Le juge de l'impôt conserve une certaine liberté d'appréciation

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Tout d'abord, le principe qui veut que « le criminel tienne le civil en l'état » ne trouve pas d'application en matière fiscale.

Remarque : Le principe posé par l'article 4 du code de procédure pénale selon lequel « le criminel tient le civil en l'état » s'applique toutefois en matière de contributions indirectes.

Le juge de l'impôt peut, s'il l'estime utile, surseoir à statuer, en attendant la décision du juge pénal, mais il n'y est nullement obligé.

Ainsi le juge de l'impôt saisi d'un litige fiscal n'est pas tenu de surseoir à statuer jusqu'à ce que le juge pénal se soit prononcé dans une instance correctionnelle engagée sur la plainte de l'Administration contre le contribuable pour fraude fiscale (CE, arrêt du 10 novembre 1971, n° 76985 et CE, arrêt du 22 novembre 1972, n° 77490).

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Lorsque les tribunaux répressifs ont déjà rendu une décision, le juge de l'impôt tire les conséquences, sur le plan fiscal, des constatations de fait opérées par le juge pénal et qui ont servi de base à une condamnation pour fraude fiscale.

En ce sens : CE, arrêt du 3 novembre 1972, n° 78672.

Toutefois, si les faits constatés au pénal s'imposent à lui comme matériellement exacts, le juge de l'impôt n'est lié ni par la qualification ni par l'interprétation donnée à ces faits sur le plan pénal, ni en principe par un jugement pénal de relaxe ni par une ordonnance de non-lieu.

Ainsi il a été jugé qu'il appartient à l'Administration comme au juge de l'impôt d'apprécier si un contribuable s'est ou non rendu coupable de manœuvres frauduleuses susceptibles de justifier l'application de la majoration qui s'y rapporte, sans que cette appréciation doive dépendre de la circonstance que l'intéressé a été ou non reconnu passible par le juge pénal d'une sanction réprimant les infractions entrant dans le champ d'application de l'article 1741 du CGI.

En l'espèce, les conditions dans lesquelles un contribuable s'était abstenu de déclarer les intérêts de créances qu'il avait perçus s'opposaient, comme il le reconnaissait d'ailleurs lui-même, à ce que sa bonne foi fût admise.

Toutefois, cette dissimulation n'ayant pas été accompagnée ou n'étant pas le résultat de manœuvres frauduleuses les droits correspondant ne pouvaient être majorés de la pénalité prévue dans ce cas, alors même que l'intéressé avait été condamné pour fraude fiscale par la juridiction répressive (CE, arrêt du 26 juillet 1978, n° 07132).

Remarque : Il est rappelé que l'Administration doit apporter devant le juge de l'impôt la preuve de la mauvaise foi du contribuable ou des manœuvres frauduleuses (LPF, art. L 195 A).

Il a également été jugé que :

- si les constatations de fait qui sont le support nécessaire d'un jugement définitif rendu par le juge pénal s'imposent au juge de l'impôt, en revanche, l'autorité de la chose jugée par la juridiction pénale ne saurait s'attacher aux motifs d'une décision de relaxe tirés de ce que les faits reprochés au contribuable ne sont pas établis et de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité et, notamment, sur la nature des opérations. Par suite, en présence d'un jugement définitif de relaxe rendu par le juge répressif, il appartient au juge de l'impôt, avant de porter lui-même une appréciation sur la matérialité et la qualification des faits au regard de la loi fiscale, de rechercher si cette relaxe était ou non fondée sur des constatations de fait qui s'imposent à lui (CE, arrêt du 1er juillet 2009, n° 295689).

En l'espèce, il résultait des constatations de fait d'un arrêt d'une cour d'appel, devenu définitif en ce qui concernait des opérations effectuées avec une société espagnole, ayant relaxé un contribuable du chef de fraude fiscale relativement à des exportations à destination de l'Espagne, que la réalité desdites exportations était notamment établie par des factures, d'une part, émises par les transporteurs et d'autre part, adressées aux acquéreurs;

- la circonstance qu'une ordonnance de non-lieu a été rendue par le juge pénal en faveur d'un contribuable poursuivi pour opposition à contrôle fiscal ne fait pas obstacle à ce que le juge de l'impôt recherche si l'intéressé avait ou non empêché, par son fait, le contrôle fiscal de s'exercer (CE, arrêt du 6 mars 1961, n° 45.970, RO, p 310).

Remarque : Le principe selon lequel l'autorité de la chose jugée ne s'impose pas au juge de l'impôt s'il n'y a pas eu constatation de fait mais simple appréciation portée sur une situation à l'occasion d'un litige devant le juge pénal, trouve également à s'appliquer lorsqu'il s'agit d'une appréciation rendue par une juridiction civile (cf. BOI-CTX-DG-20-30-30-II-C-2-b).

II. Influence de la chose jugée par les juridictions administrative et judiciaire (statuant au civil) sur les décisions des tribunaux répressifs

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Les décisions des juridictions administratives et judiciaires (statuant au civil) n'ont pas l'autorité de la chose jugée au pénal parce que les instances en matière d'assiette de l'impôt sont différentes par leur nature et leur objet des instances pénales.

À cet égard, la Cour de Cassation a rappelé qu'il appartient au juge répressif d'apprécier souverainement la valeur des éléments de preuve soumis aux débats contradictoires sans être lié par les décisions des juridictions administrative et civile qui, statuant dans les instances en recouvrement ou en restitution de droits différentes par leur nature et leur objet de l'action correctionnelle, ne s'imposent pas à lui (Cass. crim., 29 mai 1973, affaire n° 73-92010).

Et également, la poursuite pénale pour soustraction frauduleuse à l'établissement et au paiement de l'impôt et la procédure administrative tendant à la fixation de l'assiette des impositions sont, par leur nature et leur objet, différentes et indépendantes l'une de l'autre (Cass. crim., 12 mai 1976, n° 75-91792).

A. Absence d'autorité de la chose jugée par la juridiction administrative

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Une décision émanant de la juridiction administrative n'a pas au pénal l'autorité de la chose jugée.

Ainsi en a-t-il été jugé à plusieurs reprises dans des affaires correctionnelles engagées pour fraude fiscale alors que la juridiction administrative (tribunal administratif, cour administrative d'appel ou Conseil d'Etat) avait, en matière d'assiette, prononcé la décharge des impositions.

La décision par laquelle un tribunal administratif, appelé à se prononcer sur l'exigibilité de la taxe sur la valeur ajoutée qui était réclamée à un négociant en gros en vins et spiritueux à la suite de divers recensements, considère ceux-ci comme effectués dans des conditions irrégulières et, en conséquence, annule les avis de mise en recouvrement délivrés à l'intéressé pour avoir paiement de cette taxe, n'a pas au pénal l'autorité de la chose jugée et n'emporte pas nullité des constatations matérielles faites au cours d'un de ces recensements.

En effet, l'action en annulation de titres de recouvrement diffère par sa nature et par son objet, de l'action correctionnelle exercée par l'Administration, et le juge répressif, pouvant asseoir sa conviction de la culpabilité du prévenu sur tous les moyens de preuve qui ont été soumis aux débats contradictoires, ne saurait être tenu de déduire de la décision administrative que le contribuable n'a pas fraudé ou tenté de frauder (Cass. Crim., 29 mai 1973, affaire n° 72-92009).

Également, la décision de la juridiction administrative prononçant la décharge des impositions établies à la suite de la découverte de dissimulations de sommes sujettes à l'impôt n'a pas l'autorité de la chose jugée à l'égard de la juridiction pénale saisie d'une plainte pour fraude fiscale à raison de ces dissimulations.

En effet, de par leur objet, leur nature et les règles de preuve applicables, les procédures administrative et judiciaire sont totalement indépendantes (Cass. crim., 9 avril 1970, affaire n° 68-92282 et Cass. crim., 4 juin 1970, affaire n° 69-93414).

Justifie sa décision, la Cour d'appel qui, pour écarter le moyen d'une demande de sursis à statuer jusqu'à la décision de la juridiction administrative se prononçant, non sur l'assiette de l'impôt mais sur le principe même de l'assujettissement d'une association à la taxe sur la valeur ajoutée, énonce que les deux procédures étant indépendantes l'une de l'autre, la décision de la juridiction administrative ne saurait avoir l'autorité de la chose jugée à l'égard du juge répressif, lequel, en se fondant sur tous les moyens de preuve propres à former sa conviction, est seulement tenu de rechercher si le prévenu s'est soustrait frauduleusement à l'établissement et au paiement de l'impôt (Cass. crim., 3 janvier 1983 et dans le même sens Cass. crim., 21 juillet 1982).

De même, la décision du juge de l'impôt, lorsqu'elle constate une irrégularité ne possède aucune autorité et ne saurait s'imposer à la juridiction répressive, les deux procédures étant indépendantes par leur nature et leur objet (Cass. crim., arrêt du 10 mars 1986, affaire n° 84-95510).

B. Absence d'autorité de la chose jugée par la juridiction civile

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Il est de principe que, sauf dans le cas où il s'agit d'une question préjudicielle (cf. BOI-CTX-DG-20-60-20), une décision émanant de la juridiction civile n'a pas l'autorité de la chose jugée au criminel.

La jurisprudence a posé pour règle qu'il appartient au juge répressif d'apprécier souverainement les éléments de preuve sur lesquels il fonde son intime conviction de la culpabilité d'un prévenu, sans être lié, à cet égard, par la décision d'une juridiction civile qui, statuant dans une instance en restitution de droits, différente par sa nature et son objet de l'action correctionnelle, n'a pas l'autorité de la chose jugée vis-à-vis de la juridiction répressive (Cass. crim., arrêt du 29 mai 1973, précité, affaire n° 72-92009 ; Cass. crim., 21 février 1946).